vendredi 11 juin 2010

Les erreurs fécondes (suite et fin)

Pour terminer, nous allons envisager le cas un peu particulier du concept de l'éther qui cumule trois des caractéristiques déjà énoncées :
- tenace, il occupera l'esprit des penseurs pendant plus de deux millénaires
- fécond, après avoir changé de statut, il permettra aux physiciens jusqu'au XIX ème siècle d'élaborer des théories sous‑tendues par la philosophie mécaniste
- devenu empoisonnant à la fin du XIX ème siècle, son élimination par Einstein correspondra à un changement de paradigme important.

L'idée d'éther, la plus courante, est celle d'un milieu subtil, support passif d'actions ou d'interactions. Mais la notion d'éther est aussi vieille que la physique et sa signification a considérablement varié, suivant en cela l'évolution des théories et les progrès de l'expérience. Oscillant entre l'idée de feu, de lumière et celle de représentation subtile de la matière, elle est rarement associée, dans l'Antiquité, à celle de support d'action cinétique et par conséquent à celle de milieu » (TONNELAT M.A. (1968) « L’éther », Encyclopédie Universalis, Vol.6). Ether vient d'un mot grec signifiant brûler par le feu et les anciens le faisait correspondre au plus subtil des quatre éléments. Pour Platon, l'éther devient une matière subtile intermédiaire entre le feu et la terre. Quand à Aristote, il fait contribuer l'éther à la constitution des milieux diaphanes, perméables à la lumière.
Le concept de matière subtile va évoluer, dans le cadre des théories optiques à partir de la Renaissance, vers une notion de milieu subtil qui se confond avec la lumière considérée comme un corps qui se propage (théorie corpusculaire) ou bien vers une notion de milieu immobile, support d'une action de propagation de proche en proche (théorie ondulatoire). Ce n'est plus la nature même de l'éther, comme dans l'Antiquité, qui préoccupe les scientifiques mais le rôle qu'il joue en optique. L'analogie, entre la propagation de la lumière et celle du son, déjà vue par L. de Vinci, a beaucoup fait pour la remise au goût du jour de l'idée d'éther quelque peu oubliée après les grecs. Pour Descartes, la nature a horreur du vide et l'univers se peuple de milieux plus ou moins grossiers animés de mouvements tourbillonnaires. L'éther, en tant que support, est matériel et corpusculaire. Au cours du XVII ème siècle, les théories vibratoires de la lumière (Malebranche, Hooke, Huygens) garde l'éther comme milieu de propagation d'ondes longitudinales (analogie avec le son), mais aussi transversales et les couleurs proviennent de l'amplitude différente des vibrations éthérées. Newton, quand à lui, penche plutôt pour une interprétation corpusculaire de la lumière et ne garde
l'éther, qu'un peu à contre-coeur, comme le milieu de transmission de l'action des forces et pour surmonter certaines difficultés de la théorie des accès (ondes et corpuscules interagissent car leur vitesse respective est différente dans l'éther). Newton n'est pas satisfait de cette explication et recherche dans l'alchimie une autre solution où la matière est capable d'action spontanée et possède une sorte de vie.
Au cours du XVIII ème siècle, l'idée d'éther est donc en nette régression. Les expériences de T. Young sur les interférences feront renaître l'éther en même temps que la nature ondulatoire de la lumière et c'est Fresnel, au début du XIX ème siècle, qui établira sans conteste le rôle primordial de ce milieu subtil. Les phénomènes de polarisation chromatique, de réflexion de la lumière polarisée et d'interférences de deux faisceaux polarisés, le conduisent à postuler nécessairement l'existence d'ondes transversales, ce qui va inciter les scientifiques à redonner une structure et des propriétés à l'éther. C'est alors que surgissent les paradoxes : l'éther doit être rigide pour la propagation des ondes transversales mais aussi sans résistance pour permettre l'évolution des corps célestes. Néanmoins, la notion est nécessaire à l'établissement de la théorie ondulatoire, car il était alors inconcevable que des ondes puissent se propager dans le vide (analogie avec les vagues et le son). Pas d'éther, pas d'ondes.
Il se verra d'ailleurs confirmé par l'existence d'effets électromagnétiques avec Oersted et Faraday qui font de l'éther un réceptacle d'énergie, siège d'une distribution de forces. Ampère, en 1835, montre également que « la chaleur est comme la lumière, une sorte de vibration de l'éther. Selon lui, la lumière est produite par les vibrations des atomes et la chaleur par celles des molécules. L'idée sera féconde et les exemples qu'il développe seront repris par Helmholtz pour établir le principe de conservation des forces (on dirait aujourd'hui de l'énergie). Puis Maxwell, avec l'analogie avec l'hydrodynamique, reprendra les tourbillons de Descartes pour établir ses équations différentielles. Pour lui, l'éther mécanique a plus un rôle suggestif qu'une existence réelle, contrairement à Lord Kelvin et Helmholtz qui, malgré un certain découragement, restent fermement accrochés à une idée de l'éther de plus en plus contradictoire, solide rigide ou fluide parfait.
L'éther, jusqu'ici nécessaire et inspirateur, commence à devenir empoisonnant. Pour l'instant, l'éther est considéré, comme un cadre référentiel, en repos, idéal et absolu d'une cinématique universelle. Le champ, introduit pour la première fois par Faraday (1840), pour parler d'un ensemble de lignes de forces dessinées par la limaille à proximité d'un aimant telles des sillons après les labours, véhicule, quant à lui, un ensemble d'actions énergétiques spécifiques, susceptibles de se propager de proche en proche dans l'éther. Mais Einstein, avec la relativité restreinte, refuse tout référentiel absolu et élimine l'éther au profit du champ qui seul reste nécessaire à la description des phénomènes. L'éther réapparaîtra, momentanément, comme support de la courbure de l'espace‑temps en relativité généralisée. Les expériences de mise en évidence de l'éther ayant toutes conduit à l'échec et la notion même d'éther s'étant vidée de son contenu, ce concept va donc disparaître entraînant avec lui la physique dite classique. En conclusion, « à travers une histoire tourmentée, il semble avoir été le signe de contradictions qui ont permis des réflexions fructueuses sur la nature et sur les propriétés de la lumière ».

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