vendredi 4 juin 2010

Les erreurs fécondes

Les premières erreurs, historiquement parlant, celles des grecs de Pythagore à Platon ont eu le mérite d'accompagner la mise en route de la science. L'influence d'Aristote a été en ce sens très importante. Ses sept principales bourdes ont nourri l'imaginaire des scientifiques sur plusieurs siècles et leur élimination a demandé à chaque fois un changement de paradigme :

- Le géocentrisme jusqu'à Copernic et Galilée
- Les orbites planétaires circulaires (le cercle, perfection divine) jusqu'à Képler
- La génération spontanée jusqu'à Pasteur
- La prédominance de la semence mâle dans la fécondation (contre l'avis d'Hyppocrate)
- Les fossiles proviennent d'exhalaisons sèches et les métaux d'exhalaisons humides; thème repris en 1640 par la baronne de Beausoleil
- Le siège de la raison se trouve dans le coeur, le cerveau ne servant que de réfrigérateur (contre l'avis d'Hyppocrate et de Platon)
- En mécanique, il existe un lieu naturel pour chaque chose, tout mouvement même uniforme demande une force motrice et il n'existe pas d'action à distance. Il faudra attendre Galilée, puis Newton pour remettre en cause ces idées.

Le changement de paradigme peut se faire d'ailleurs en soignant l'erreur par une autre illusion. La révolution dite copernicienne est en ce sens assez démonstrative. Avant Copernic, Ptolémée avait construit un modèle, fondé sur les épicycles qui approchait bien les données observationnelles et permettait l'établissement d'éphémérides corrects.
Copernic établit son système sur deux hypothèses fausses : les orbites planétaires sont circulaires et la vitesse sur ces orbites est uniforme. Il n'a aucune raison valable de mettre le Soleil au centre de l'Univers à la place de la Terre et sa théorie, aussi compliquée que celle de Ptolémée, ne donne pas de meilleurs résultats quand aux prévisions des éphémérides ! Copernic avait conçu l'ellipse mais avait abandonné l'idée, car non conforme aux canons de la perfection céleste et divine. Nous avons déjà vu le rôle joué par Galilée dans cette affaire.
Képler, lui tout d'abord, s'acharne dans l'erreur. Il essaie de ressusciter, mais sans succès, l'harmonie des sphères de Pythagore où l'ordre des planètes ne tient pas dans des proportions arithmétiques mais réside dans la géométrie. Chaque orbite serait circonscrite à un polygone régulier différent. Le nombre de ces polygones correspondait au nombre des planètes alors connues (Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne).
Ce problème de l'explication des distances des planètes au Soleil ne devait être résolu que très récemment par L. Nottale (NOTTALE L. (1995) « Fractal space time and microphysics », World scientific) en utilisant effectivement des considérations géométriques, liées à l'espace‑temps fractal. Képler n'utilisera l'ellipse pour Mars, que contraint et forcé, puisqu'il doit abandonner l'idée qui avait sous‑tendu toutes ses recherches, celle d'une harmonie divine dans les « sphères » célestes. Il était poussé par le désir de trouver un système explicatif harmonieux et les lois qu'il établiera ne seront pour lui que secondaires, d'ailleurs très mal mises en valeur dans ses textes, et ne deviendront fameuses qu'éclairées par la théorie de Newton.

Quelques exemples à la volée du génie erratique :

- Cristophe Colomb (1492) : l'erreur sur la circonférence terrestre (33 000 km), lui fait croire que la distance Europe‑Asie par l'ouest n'est que de 4 400 km. Il part donc en confiance et touche les Amériques
- Galvani (1786) : il expérimente sur l'électricité animale, en tire des conclusions fausses mais Volta réinterprète l'expérience et s'en sert pour fabriquer la première pile électrique
- Brown‑Séquard (1889) : il veut démontrer que les hormones sont fabriquées par des glandes et transportées par le sang. L'expérience consiste à injecter dans son propre organisme des extraits liquides d'un broyat de testicules de chien et de cochon d'inde. Le résultat dépasse toutes les attentes, mais ce ne sont pas les hormones qui agissent, puisqu'elles restent en quantité infime dans les glandes, c'est l'effet placébo : un bel exemple d'expérience non significative qui étaie une théorie juste
- Pasteur : ces premières études, en tant que cristallographe, portaient sur les cristaux faisant tourner la lumière polarisée vers la droite ou la gauche (dextrogyres, lévogyres). Il s'aperçut que la vie avait une affinité pour une des formes, les levures faisant pousser des cristaux dextrogyres. Il inversa la proposition sans précaution et proposa l'hypothèse que des conditions dissymétriques peuvent créer la vie. Cette faute de logique ( [p donc q] n'implique pas [q donc p] mais [non q donc non p]) l'amènera à s'intéresser aux levures et aux moisissures et à découvrir les théories qui feront sa gloire
- L'exemple de la découverte de la bombe atomique est un peu particulier. L'erreur ne sera pas féconde en tant que telle mais évitera aux allemands d'obtenir la bombe pendant la seconde guerre mondiale. En 1938, Hahn et Strassmann obtiennent, par fission de l'uranium, un élément beaucoup plus léger, le baryum. Ce résultat inattendu ne sera pas exploité par les allemands mais par les physiciens émigrés aux USA par l'intermédiaire de Lise Meitner, juive et résidant à Stockholm.

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