vendredi 11 juin 2010

Les erreurs désastreuses (suite et fin)

Et maintenant, quelques exemples d'erreurs contraires aux valeurs de l'humanisme :

Au XIX ème siècle, Galton, en rupture, avec le darwinisme social pensait, que l'espèce humaine était en train de se dégrader, car seules les classes sociales les plus basses, avec leur cortège de miséreux, d'alcooliques et d'ignorants, étaient prolifiques. L'amélioration de la race ou eugénisme « requérait une méthode chiffrée d'estimation des dons de chacun et une connaissance précise de leur transmission biologique, projet éminemment politique qui lui vaudra de rendre aux statistiques leur sens littéral d'une science de l'état » (STENGERS I. (1987) « D'une science à l'autre. Des concepts nomades », Seuil). Il va donc promouvoir diverses branches avides de statistiques : la psychométrie, la biométrie, l'hérédité biologique, la criminologie. Il recherchait le génie héréditaire pour pouvoir le sélectionner. Dans la pratique, on parla de stérilisation des miséreux, des débiles... Les économistes du début du XIX ème siècle, vont traduire cela par : "il est nécessaire de limiter le nombre des pauvres (jusque‑là cette intention est plutôt louable) en empêchant la survie artificielle que leur procure l'arsenal juridique sur l'assistance (et là tout se gâte). Il s'agit de ne pas interférer avec le jeu cruel de la sélection naturelle : lorsque la Nature se charge de gouverner et de punir, ce serait une ambition bien folle et bien déplacée de prétendre nous mettre à la place et prendre sur nous tout l’odieux de l'exécution » (Malthus). Odieux est bien le terme, mais à appliquer aux raisonnements tenus par les sociologues biomètres et économètres de l'époque. Ainsi étaient justifiées la pauvreté et la misère, tout en faisant porter aux pauvres la responsabilité de leur condition sociale.
Cette justification était étayée par des calculs statistiques, ce qui mettaient en confiance les politiciens. L'exemple de Yule est tout à fait édifiant. Mais sous couvert de formules savantes, Yule fit trois erreurs qui discréditèrent ses conclusions.
- Tout d'abord, il identifie corrélation et causalité. Nous avons déjà vu, les dangers de cette identification, surtout si l'on désire agir sur les évènements.
- Puis, il identifie les concepts à corréler, le paupérisme et l'aide sociale, aux indicateurs utilisés pour les mesurer. Ces deux erreurs entraînent une dérive fort regrettable : la droite de régression obtenue à partir de ces indicateurs est assimilée à l'équation existant entre paupérisme et aide sociale.
- De plus, troisième erreur, les indicateurs sont mal formulés. En effet, les deux indicateurs, pour l'aide sociale et le paupérisme, sont proportionnels à une même variable : le nombre d'individus bénéficiant de l'aide publique. Si le nombre de personnes bénéficiant de l'aide diminue, cela voudra dire que l'aide sociale a baissé mais aussi la pauvreté, car par définition cette dernière est proportionnelle à ce nombre de personnes ! La corrélation est inscrite au départ dans la construction des formules, les conclusions sont donc préméditées et en plus elles sont erronées. Bien sûr les politiques ne rentreront pas dans ce genre de considérations et se féliciteront que l'action administrative, c'est à dire une baisse de l'aide sociale, ait une aussi heureuse conséquence... Ce genre d'erreur simpliste ne se conjugue malheureusement pas toujours au passé et entache encore bien des travaux socio-­économiques.

Les conséquences de ces théories étaient déjà déplorables au XIXème siècle, mais elles devinrent dramatiques lorsqu'elles furent reprises par Hitler pendant son règne. Toutes les divagations sur l'amélioration de la race, accompagnées de leurs fausses hypothèses sur l'hérédité de l'intelligence, la supériorité de la race blanche sur les autres, de l'homme sur la femme, des sédentaires sur les nomades,... ont conduit aux atrocités de la seconde guerre mondiale. Les sciences sociales, difficilement quantifiables, payent un lourd tribut aux préjugés. Et plus les méthodes s'affinent, par exemple avec l'apparition de l'analyse factorielle, plus les déductions erronées semblent plausibles sous couvert de méthode mathématique. Il faut alors redoubler de vigilance et chercher les liens de causalité sans trop s'attacher aux indications que fournissent les corrélations.

La théorie de Lyssenko, sur l'hérédité des caractères acquis, reposant sur des données expérimentales douteuses, a été cependant soutenu par le gouvernement de Staline car en opposition avec les visions néo-darwinistes prônant la sélection naturelle et la concurrence dans un environnement capitaliste. Cet entêtement a eu cependant des conséquences fâcheuses pour le petit peuple soviétique car les techniques agricoles encouragées par la théorie lyssenkiste ont conduit à des désastres économiques : en particulier, la culture de blé, soi‑disant résistant aux basses températures, s'est soldée par un échec retentissant et le spectre de la famine a de nouveau rôdé comme au temps des tsars !
Nous reviendrons dans de prochains billets sur les interactions de la science et de la politique.

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