lundi 21 juin 2010

En guise de résumé sur les erreurs à éviter

Comme il est plus facile de réfuter une théorie que de la valider, il sera plus facile d'énoncer les chemins qui mènent à l'erreur plutôt qu'à la connaissance et à l'innovation :

- Les fautes de méthodologie parmi lesquelles l'observation de faits contradictoires provenant d'un véritable artefact, la déduction incorrecte des conséquences d'une hypothèse, la vérification expérimentale non concluante pour cause d'erreur de manipulation ou de difficulté de reproduction (loi de Coulomb, fusion froide).

- Les fautes sur le cadre hypothétique : Les hypothèses formulées explicitement sont rajoutées aux prémisses qui correspondent au cadre hypothétique de base équivalent au paradigme en cours et englobant des hypothèses non dites car soi‑disant évidentes ou le plus souvent oubliées. Ces dernières relèvent souvent de l'intuition sensible (terre immobile, pas de mouvement sans action, ...) ou d'un souci de simplification (isotropie de la répartition des isotopes au début de la formation de la terre, pas d'apport de chaleur ultérieur pour le calcul du refroidissement de la terre, ...). Même si le raisonnement est juste, des prémisses fausses entraînent une théorie fausse. Si de plus ces prémisses sont invérifiables car inaccessibles à l'expérience ou à l'observation, la théorie se transforme en mythe. Ces hypothèses sont d'autant plus pernicieuses qu'elles sont implicites et cachées. Il faut pouvoir les exhumer pour tester leur véracité et valider ou réfuter la théorie associée.

Quelques chemins minés :

- Manquer d'ouverture d'esprit et s'enfoncer dans ses préjugés
- Rester dans sa discipline et s'y engluer
- Croire à la chose écrite sans discernement
- Penser que les choses n'existent qu'une fois leur explication trouvée
- Suivre les idées en vogue dans les hautes sphères pour avoir des subsides
- Occulter certains faits parce qu'ils ne collent pas avec la théorie en cours
- Reculer devant l'idée qu'on peut avoir raison contre tous
- A contrario penser qu'on est le plus subtil et rejeter l'aide de ses collègues
- Oublier les leçons des anciens même si la solution ne se trouve pas directement écrite dans l'histoire en particulier les méthodes de découverte
- Ne pas lâcher à temps une analogie qui pourrait s'avérer réductrice si elle est trop poussée
- Avoir une idée fixe et passer à côté de quelque chose de plus important. Il est notoire que Fleming laissa échapper pendant treize ans la découverte de la pénicilline en tant qu'agent anti‑bactérien pour les maladie humaines. Il cherchait en fait un vaccin contre la grippe d'un fort intérêt scientifique, économique et humain pour l'Institut dont il dirigeait les recherches et la pénicilline servait de désherbant pour ses cultures de virus grippal.

Nous terminerons par une note optimiste avec le cas de Képler qui s'obstina longtemps dans l'erreur mais qui fût malgré cela à l'origine de lois fondamentales. Pour lui l'ordre des planètes ne tient pas dans des proportions arithmétiques mais réside dans la géométrie, chaque planète occupant le centre de gravité de différents polygones circonscrits. Il y recherche l'harmonie divine à l'instar de Pythagore avec son harmonie des sphères. Quand il se décide à utiliser l'ellipse pour Mars, concept envisagé par Copernic mais aussitôt abandonné pour les raisons énoncées plus haut, c'est à grand contre-coeur puisqu'il doit y sacrifier l'harmonie divine. Et c'est en recherchant les relations existant entre les distances des planètes au soleil et les gammes musicales qu'il trouvera la troisième loi liant la distance au soleil à la durée de révolution. Ce sera Newton, en leur donnant une explication commune celle de la gravitation universelle, qui valorisera les trois lois de Képler que ce dernier considérait comme des résultats secondaires. In fine, l'explication des distances des planètes au soleil sera apportée à la fin du siècle dernier par Nottale via des considérations géométriques de l'espace‑temps. Képler en fin de compte tenait le bon fil, mais les concepts mathématiques nécessaires (fractales) ne verraient le jour que bien plus tard.
Les erreurs liées aux facteurs humains

Le scientifique est avant tout un être humain et est soumis en tant que tel aux vicissitudes caractérielles de son espèce et ceci malgré tous les efforts faits en vue d'une rationnalisation de son comportement face aux problèmes posés par la Nature. La vanité, la mégalomanie, le goût pour l'intrigue ou le pouvoir, l'entêtement sur une hypothèse quelque temps confortée, la paranoïa parfois stimulante mais souvent empoisonnante sont, parmi les travers psychologiques les plus souvent rencontrés. Les péripéties bien connues de Galilée avec l'Eglise résultent d'un manque de diplomatie et d'une confrontation brutale avec les jésuites qui entendaient garder leur pouvoir en science; ce refus de l'héliocentrisme ne les empêchaient d'ailleurs pas d'utiliser en douce l'astronomie de Copernic pour leurs traversées missionnaires, efficacité oblige... Le caractère de Galilée, illustré dans un billet précédent, lui valurent quelques mésaventures et l'entraînèrent à avancer des idées fausses sur la forme des orbites (circularité) et sur les marées (sa théorie contredisait ses résultats en dynamique). La preuve expérimentale du mouvement de la Terre n'adviendra que bien plus tard en 1851 grâce au pendule de Foucault. A ce moment là, l'Eglise a déjà accepté l'héliocentrisme sans plus de raisons scientifiques. Le problème était donc bien ailleurs.

Le scientifique peut être soumis aux idées à la mode, aux idées reçues et aux préjugés intellectuels.
Prenons l'exemple de la génération spontanée. Ce concept n'est pas bien vu des conservateurs et des catholiques car invoquée pour la théorie de l'évolution de Lamarck et Darwin. Pasteur a bien vu juste avec la découverte de l'activité microbienne, ce qui rendra caduque pour des raisons scientifiques la notion de génération spontanée et renforcera le scepticisme des français au regard de la théorie de l'évolution.
La paléontologie humaine est peut‑être la spécialité qui a le plus souffert des préjugés culturels, des fantasmes et des dogmes, car touchant à l'origine de l'homme. Les techniques de datation sont restées très longtemps incertaines, les données étant très fragmentaires et énigmatiques. Les faux sont donc acceptés facilement et on refuse l'évidence de vraies trouvailles. Les généralisations hâtives, la sous‑estimation des capacités des ancêtres (Altamira), l'idée que l'évolution ne peut être que positive (contre exemple du chimpanzé) entraînent des vues erronées sur un sujet aussi délicat. L'idée que l'homme puisse avoir une origine unique en Afrique est en cette fin de millénaire quelque peu controversée après la révision de la datation de l'homme de Java. L'unicité, l'unification sont des thèmes très porteurs sans doute depuis l'époque où l'homme élabora le concept de principe essentiel unique à l'origine de la Création (Dieu, Allah, Jéhovah) ou de l'organisation de l'Univers (Tao chinois). Les preuves expérimentales fossiles ne sont en fait pas plus en faveur d'un ou de plusieurs foyers de développement de l'espèce humaine. La non découverte de fossiles dans d'autres contrées ne peut constituer une preuve de l'unicité des origines.

Nous terminerons cet aperçu par ce qu'on pourrait appeler le complexe de Frankenstein. Il s'agit ici de remplacer le Créateur et de percer le secret de la vie. La génération spontanée sera ainsi défendue par les matérialistes comme Engels qui réfute l'existence d'un créateur. Ce fantasme sera néanmoins porteur d'idées nouvelles puisque le concept de soupe primitive ou de constitution de la vie par des ressorts purement physico‑chimiques sera ainsi développé mais non encore poussé à son terme (Coparine, 1924, Haldane, 1929, Miller, 1953).

mercredi 16 juin 2010

Les erreurs méthodologiques (suite et fin)

On peut aussi être génial et inventeur d'une méthode scientifique qui portera ses fruits pendant plusieurs générations et ne pas être pourtant à l'abri de quelques divagations :
Descartes en effet réfute les théories de Galilée avec des arguments non recevables : il refuse l'action à distance, l'existence du vide et peuple l'univers de tourbillons pour expliquer la lumière.
En biologie, il introduit le concept d'animal‑machine, notion par certains côtés féconde pour l'explication de mécanismes vitaux (le coeur assimilé à une pompe, les vaisseaux sanguins à de la tuyauterie,...), mais qui s'avèrera avoir des conséquences déplorables quant au comportement de l'homme vis à vis de l’animal.
Sa méthode intéressante n'est certainement pas une panacée. Il a de plus présumé de sa puissance de raisonnement et il est resté trop isolé, trop confiant dans sa méthode, tout en refusant l'expérimentation qui aurait pu canaliser son imagination.

Un autre travers méthodologique est de voir des phénomènes parce qu'on veut les voir ou y croire. Cette technique est souvent payante, car elle guide la recherche, mais elle peut aussi mener à des impasses si l'intuition de départ est erronée. Même si la méthode suivie est scientifique, des prémisses fausses engendreront toujours des résultats faux. Les exemples les plus connus sont fournis par l'alchimie, qui a inspiré la chimie mais aussi l'a fourvoyée jusqu'aux travaux de Lavoisier, et par la phrénologie (Gall au XIX ème siècle) où l'on retrouve les bosses sur le crâne comme révélateurs du caractère humain. Ici l'hypothèse de départ, fausse bien sûr, est que les organes développés font pression sur la boîte crânienne (bosse des maths). Quant aux canaux de Mars et aux rayons N, qui voulaient les voir les voyaient !

Certaines expériences sont faites également pour apporter confirmation à une théorie mais ne sont en aucune manière significative : la théorie stipulait que les animalcules (anciens spermatozoïdes) sont produits par les femelles. Donc on allait disséquer une chienne après l'accouplement et on allait trouver effectivement les animalcules dans l'utérus. L'expérience n'a pas de signification mais semble conforter l'hypothèse. Elle a été réalisée au XVIII ème siècle par Buffon assisté de Daubenton et de Needham, pourtant trois grands noms de leur époque. Combien d'êtres vivants auront encore à souffrir de l’inconséquence de l'esprit humain ?
L'enthousiasme aidant, certains scientifiques sont portés à faire des généralisations un peu hâtives. C'est une des difficultés de la méthode d'induction qui veut établir des lois générales à partir de faits particuliers. La paléontologie est un peu sujette à cette maladie. Travaillant sur des thèmes délicats tels que l'homme préhistorique et avec des documents de travail statistiquement rares, il est fréquent de trouver des dérives dans l'interprétation des trouvailles : l'homme de Néanderthal deviendra ainsi l'exemple parfait 'du petit vieux arthritique'. Ce genre de raisonnement se retrouve dans les théories raciales où le comportement typique de quelques individus est généralisé à l'ensemble de la population.
Les impasses oubliées

Logiquement, toutes les voies explorées par les scientifiques et reconnues pour être des impasses, devraient être répertoriées, analysées et mémorisées pour en tirer quelque enseignement sur la démarche à suivre ou tout simplement pour éviter de refaire les mêmes erreurs. Chaque scientifique devrait, dans sa discipline, tenir compte de ces informations et les rechercher si l'enseignement de ses maîtres a été incomplet dans ce domaine. L'évolution des concepts en métallogénie (étude de la genèse des gisements métallifères), depuis les grecs, illustre tout à fait la vivacité des erreurs mal digérées.

Les causes d'erreurs

Selon S. Baruk (« L'âge du capitaine. De l'erreur en mathématiques », 1985, Seuil, Points sciences), l'erreur est une condition normale d'apprentissage. « La vérité de l'erreur est précisément dans le rapport de désir que l'on entretient en mathématiques avec la vérité, dont on voudrait qu'elle soit comme ça, parce que les mathématiques sont ce qu'elles sont. C'est en raison même de ce qui peut être perçu de leur spécificité par le néophyte et de ce qui en est pratiqué par le praticien ‑ citons la présence d'absolus, la cohérence générale, les analogies, les grandes synthèses, l'esthétique des résultats, etc... ‑, que les mathématiques produisent sur n'importe quel sujet le même effet de désir que ce soit comme ça ». Seule la compréhension peut sortir l'apprenti mathématicien de l'impasse où sa docilité intellectuelle l'avait conduit.

Les causes d'erreurs sont multiples et les exemples donnés par la suite ne constituent en aucun cas une liste exhaustive. Il est néanmoins possible de les regrouper selon deux grands types, les erreurs méthodologiques et celles liées aux facteurs humains.

Les erreurs méthodologiques :

La logique veut que, quand une proposition p entraîne une proposition q, c'est la négation de q qui entraînera la négation de p. Pour que q entraîne p, il faut au départ avoir une relation d'équivalence entre p et q. L'erreur souvent commise est de croire que l'observation de la relation à sens unique p vers q amènera la relation en sens inverse q vers p. C'est, bien sûr, une piste de recherche à ne pas négliger mais elle est souvent décevante car les relations d'équivalence sont, semble‑t‑il, assez rares dans la nature. Voici trois exemples de cette erreur de logique :
- Becquerel, à la fin du siècle dernier, observe que les rayons X provoquent la fluorescence de certaines substances. Il essaiera en vain de produire des rayons X à partir de substances fluorescentes.
- Pasteur observe que la vie favorise la dissymétrie. Mais toutes ses expériences en vue de reconstituer la vie à partir de conditions dissymétriques seront vouées à l'échec.
- Un dernier exemple, un peu différent, mais qui, en logique formelle, rejoint les deux premiers : tous les criminels ont une bosse sur le crâne à cet endroit, donc tous ceux qui, ont une bosse au même endroit sont des criminels, (tout p entraîne q) n'est pas équivalent à (tout q entraîne p), mais à (il existe un q entraînant p). Contrairement aux deux précédentes, cette erreur est dangereuse car elle touche au comportement humain.
L'autre erreur de logique souvent commise est de penser que la corrélation positive entre deux évènements implique forcément une relation de cause à effet entre eux (voir des billets précédents pour les exemples avec le mot-clé "corrélation positive").

vendredi 11 juin 2010

Les erreurs désastreuses (suite et fin)

Et maintenant, quelques exemples d'erreurs contraires aux valeurs de l'humanisme :

Au XIX ème siècle, Galton, en rupture, avec le darwinisme social pensait, que l'espèce humaine était en train de se dégrader, car seules les classes sociales les plus basses, avec leur cortège de miséreux, d'alcooliques et d'ignorants, étaient prolifiques. L'amélioration de la race ou eugénisme « requérait une méthode chiffrée d'estimation des dons de chacun et une connaissance précise de leur transmission biologique, projet éminemment politique qui lui vaudra de rendre aux statistiques leur sens littéral d'une science de l'état » (STENGERS I. (1987) « D'une science à l'autre. Des concepts nomades », Seuil). Il va donc promouvoir diverses branches avides de statistiques : la psychométrie, la biométrie, l'hérédité biologique, la criminologie. Il recherchait le génie héréditaire pour pouvoir le sélectionner. Dans la pratique, on parla de stérilisation des miséreux, des débiles... Les économistes du début du XIX ème siècle, vont traduire cela par : "il est nécessaire de limiter le nombre des pauvres (jusque‑là cette intention est plutôt louable) en empêchant la survie artificielle que leur procure l'arsenal juridique sur l'assistance (et là tout se gâte). Il s'agit de ne pas interférer avec le jeu cruel de la sélection naturelle : lorsque la Nature se charge de gouverner et de punir, ce serait une ambition bien folle et bien déplacée de prétendre nous mettre à la place et prendre sur nous tout l’odieux de l'exécution » (Malthus). Odieux est bien le terme, mais à appliquer aux raisonnements tenus par les sociologues biomètres et économètres de l'époque. Ainsi étaient justifiées la pauvreté et la misère, tout en faisant porter aux pauvres la responsabilité de leur condition sociale.
Cette justification était étayée par des calculs statistiques, ce qui mettaient en confiance les politiciens. L'exemple de Yule est tout à fait édifiant. Mais sous couvert de formules savantes, Yule fit trois erreurs qui discréditèrent ses conclusions.
- Tout d'abord, il identifie corrélation et causalité. Nous avons déjà vu, les dangers de cette identification, surtout si l'on désire agir sur les évènements.
- Puis, il identifie les concepts à corréler, le paupérisme et l'aide sociale, aux indicateurs utilisés pour les mesurer. Ces deux erreurs entraînent une dérive fort regrettable : la droite de régression obtenue à partir de ces indicateurs est assimilée à l'équation existant entre paupérisme et aide sociale.
- De plus, troisième erreur, les indicateurs sont mal formulés. En effet, les deux indicateurs, pour l'aide sociale et le paupérisme, sont proportionnels à une même variable : le nombre d'individus bénéficiant de l'aide publique. Si le nombre de personnes bénéficiant de l'aide diminue, cela voudra dire que l'aide sociale a baissé mais aussi la pauvreté, car par définition cette dernière est proportionnelle à ce nombre de personnes ! La corrélation est inscrite au départ dans la construction des formules, les conclusions sont donc préméditées et en plus elles sont erronées. Bien sûr les politiques ne rentreront pas dans ce genre de considérations et se féliciteront que l'action administrative, c'est à dire une baisse de l'aide sociale, ait une aussi heureuse conséquence... Ce genre d'erreur simpliste ne se conjugue malheureusement pas toujours au passé et entache encore bien des travaux socio-­économiques.

Les conséquences de ces théories étaient déjà déplorables au XIXème siècle, mais elles devinrent dramatiques lorsqu'elles furent reprises par Hitler pendant son règne. Toutes les divagations sur l'amélioration de la race, accompagnées de leurs fausses hypothèses sur l'hérédité de l'intelligence, la supériorité de la race blanche sur les autres, de l'homme sur la femme, des sédentaires sur les nomades,... ont conduit aux atrocités de la seconde guerre mondiale. Les sciences sociales, difficilement quantifiables, payent un lourd tribut aux préjugés. Et plus les méthodes s'affinent, par exemple avec l'apparition de l'analyse factorielle, plus les déductions erronées semblent plausibles sous couvert de méthode mathématique. Il faut alors redoubler de vigilance et chercher les liens de causalité sans trop s'attacher aux indications que fournissent les corrélations.

La théorie de Lyssenko, sur l'hérédité des caractères acquis, reposant sur des données expérimentales douteuses, a été cependant soutenu par le gouvernement de Staline car en opposition avec les visions néo-darwinistes prônant la sélection naturelle et la concurrence dans un environnement capitaliste. Cet entêtement a eu cependant des conséquences fâcheuses pour le petit peuple soviétique car les techniques agricoles encouragées par la théorie lyssenkiste ont conduit à des désastres économiques : en particulier, la culture de blé, soi‑disant résistant aux basses températures, s'est soldée par un échec retentissant et le spectre de la famine a de nouveau rôdé comme au temps des tsars !
Nous reviendrons dans de prochains billets sur les interactions de la science et de la politique.
Les erreurs désastreuses

Il en existe de deux sortes :

- Celles qui inhibent l'avancée de la science pendant plusieurs siècles. Nous avons déjà vu une idée fausse tenace mais féconde, celle de l'éther. Dans la majorité des cas les idées tenaces sont empoisonnantes. Ces erreurs pérennes au cours des âges révèlent d'ailleurs des travers humains ou des structures mentales génératrices d'erreurs.
- Celles qui vont à l'encontre des valeurs de l'humanisme. Elles sont en général liées à une idéologie politique particulière.

Quelques exemples d'erreurs tenaces et inhibitrices :

La théorie des quatre éléments des anciens grecs (l'eau, la terre, l'air et le feu) : elle a fourvoyé la chimie pendant deux millénaires jusqu'à Lavoisier au XVIIIème siècle et donné des divagations énormes en médecine avec la théorie des quatre humeurs d'Hippocrate. Ces principes seront utilisés jusqu'au XIXème siècle, comme l'existence de la bile noire à côté du sang, de la bile jaune et du phlegme. La méthode paraissait scientifique mais les prémisses étant fausses, la théorie ne l'était pas moins. En fait dans la pratique, les grecs utilisaient des thérapeutiques sensées, mais l'histoire n'a retenu que la théorie.

Les sept erreurs d'Aristote déjà citées : la plupart des erreurs n'ont été résorbées qu'à partir du XVIIème siècle et certaines, comme la notion de génération spontanée, dureront jusqu'au XIXème siècle. Instituées à l'état de dogme avec la scolastique des théologiens du XI et XIIème siècles au moment où le moyen âge redécouvre Aristote.

L'harmonie des sphères d'après Philolaos : chaque planète émet un son en fonction de sa distance au soleil et l'ensemble est harmonieux. Képler tentera encore au XVIIème siècle de trouver une harmonie d'ensemble aux planètes et n'abandonnera le cercle que contraint par ses mesures sur les déplacements de Mars.

L'école de Pythagore essaiera de relier tout élément naturel à des nombres. Cet effort intéressant dans son principe, conduira néanmoins les disciples pythagoriciens à raconter pas mal d'incongruités et leurs élucubrations mathématiques dégoûtèrent les scientifiques de tenter toute mathématisation du réel pendant plusieurs siècles. Le premier à rompre avec ce comportement fut sans doute Galilée, au XVIIème siècle, et l'on connaît le formidable essor que prit la science à la suite de ce changement d'attitude. Après une période faste, certains excès apparurent surtout à partir du XIXème siècle où la systématisation des mesures, dans des domaines peu aptes à se laisser enfermer dans la logique mathématique, conduisit les chercheurs au même type de divagations que leurs ancêtres pythagoriciens : par exemple, en raison de la toute puissance des statistiques dans les sciences naturelles, économiques et sociales. En cette fin du XXème siècle, les outils mathématiques ont cependant évolué et se sont adaptés à la description de phénomènes naturels : fractales, dérivation fractionnaire, éléments topologiques de Thom, relateurs arithmétiques, logique floue... Il est donc possible à présent de reprendre avec espoir le chemin pythagoricien, mais en gardant toujours en mémoire les limites des outils mathématiques quant à leur adéquation au réel.
Les erreurs fécondes (suite et fin)

Pour terminer, nous allons envisager le cas un peu particulier du concept de l'éther qui cumule trois des caractéristiques déjà énoncées :
- tenace, il occupera l'esprit des penseurs pendant plus de deux millénaires
- fécond, après avoir changé de statut, il permettra aux physiciens jusqu'au XIX ème siècle d'élaborer des théories sous‑tendues par la philosophie mécaniste
- devenu empoisonnant à la fin du XIX ème siècle, son élimination par Einstein correspondra à un changement de paradigme important.

L'idée d'éther, la plus courante, est celle d'un milieu subtil, support passif d'actions ou d'interactions. Mais la notion d'éther est aussi vieille que la physique et sa signification a considérablement varié, suivant en cela l'évolution des théories et les progrès de l'expérience. Oscillant entre l'idée de feu, de lumière et celle de représentation subtile de la matière, elle est rarement associée, dans l'Antiquité, à celle de support d'action cinétique et par conséquent à celle de milieu » (TONNELAT M.A. (1968) « L’éther », Encyclopédie Universalis, Vol.6). Ether vient d'un mot grec signifiant brûler par le feu et les anciens le faisait correspondre au plus subtil des quatre éléments. Pour Platon, l'éther devient une matière subtile intermédiaire entre le feu et la terre. Quand à Aristote, il fait contribuer l'éther à la constitution des milieux diaphanes, perméables à la lumière.
Le concept de matière subtile va évoluer, dans le cadre des théories optiques à partir de la Renaissance, vers une notion de milieu subtil qui se confond avec la lumière considérée comme un corps qui se propage (théorie corpusculaire) ou bien vers une notion de milieu immobile, support d'une action de propagation de proche en proche (théorie ondulatoire). Ce n'est plus la nature même de l'éther, comme dans l'Antiquité, qui préoccupe les scientifiques mais le rôle qu'il joue en optique. L'analogie, entre la propagation de la lumière et celle du son, déjà vue par L. de Vinci, a beaucoup fait pour la remise au goût du jour de l'idée d'éther quelque peu oubliée après les grecs. Pour Descartes, la nature a horreur du vide et l'univers se peuple de milieux plus ou moins grossiers animés de mouvements tourbillonnaires. L'éther, en tant que support, est matériel et corpusculaire. Au cours du XVII ème siècle, les théories vibratoires de la lumière (Malebranche, Hooke, Huygens) garde l'éther comme milieu de propagation d'ondes longitudinales (analogie avec le son), mais aussi transversales et les couleurs proviennent de l'amplitude différente des vibrations éthérées. Newton, quand à lui, penche plutôt pour une interprétation corpusculaire de la lumière et ne garde
l'éther, qu'un peu à contre-coeur, comme le milieu de transmission de l'action des forces et pour surmonter certaines difficultés de la théorie des accès (ondes et corpuscules interagissent car leur vitesse respective est différente dans l'éther). Newton n'est pas satisfait de cette explication et recherche dans l'alchimie une autre solution où la matière est capable d'action spontanée et possède une sorte de vie.
Au cours du XVIII ème siècle, l'idée d'éther est donc en nette régression. Les expériences de T. Young sur les interférences feront renaître l'éther en même temps que la nature ondulatoire de la lumière et c'est Fresnel, au début du XIX ème siècle, qui établira sans conteste le rôle primordial de ce milieu subtil. Les phénomènes de polarisation chromatique, de réflexion de la lumière polarisée et d'interférences de deux faisceaux polarisés, le conduisent à postuler nécessairement l'existence d'ondes transversales, ce qui va inciter les scientifiques à redonner une structure et des propriétés à l'éther. C'est alors que surgissent les paradoxes : l'éther doit être rigide pour la propagation des ondes transversales mais aussi sans résistance pour permettre l'évolution des corps célestes. Néanmoins, la notion est nécessaire à l'établissement de la théorie ondulatoire, car il était alors inconcevable que des ondes puissent se propager dans le vide (analogie avec les vagues et le son). Pas d'éther, pas d'ondes.
Il se verra d'ailleurs confirmé par l'existence d'effets électromagnétiques avec Oersted et Faraday qui font de l'éther un réceptacle d'énergie, siège d'une distribution de forces. Ampère, en 1835, montre également que « la chaleur est comme la lumière, une sorte de vibration de l'éther. Selon lui, la lumière est produite par les vibrations des atomes et la chaleur par celles des molécules. L'idée sera féconde et les exemples qu'il développe seront repris par Helmholtz pour établir le principe de conservation des forces (on dirait aujourd'hui de l'énergie). Puis Maxwell, avec l'analogie avec l'hydrodynamique, reprendra les tourbillons de Descartes pour établir ses équations différentielles. Pour lui, l'éther mécanique a plus un rôle suggestif qu'une existence réelle, contrairement à Lord Kelvin et Helmholtz qui, malgré un certain découragement, restent fermement accrochés à une idée de l'éther de plus en plus contradictoire, solide rigide ou fluide parfait.
L'éther, jusqu'ici nécessaire et inspirateur, commence à devenir empoisonnant. Pour l'instant, l'éther est considéré, comme un cadre référentiel, en repos, idéal et absolu d'une cinématique universelle. Le champ, introduit pour la première fois par Faraday (1840), pour parler d'un ensemble de lignes de forces dessinées par la limaille à proximité d'un aimant telles des sillons après les labours, véhicule, quant à lui, un ensemble d'actions énergétiques spécifiques, susceptibles de se propager de proche en proche dans l'éther. Mais Einstein, avec la relativité restreinte, refuse tout référentiel absolu et élimine l'éther au profit du champ qui seul reste nécessaire à la description des phénomènes. L'éther réapparaîtra, momentanément, comme support de la courbure de l'espace‑temps en relativité généralisée. Les expériences de mise en évidence de l'éther ayant toutes conduit à l'échec et la notion même d'éther s'étant vidée de son contenu, ce concept va donc disparaître entraînant avec lui la physique dite classique. En conclusion, « à travers une histoire tourmentée, il semble avoir été le signe de contradictions qui ont permis des réflexions fructueuses sur la nature et sur les propriétés de la lumière ».

vendredi 4 juin 2010

Les erreurs fécondes

Les premières erreurs, historiquement parlant, celles des grecs de Pythagore à Platon ont eu le mérite d'accompagner la mise en route de la science. L'influence d'Aristote a été en ce sens très importante. Ses sept principales bourdes ont nourri l'imaginaire des scientifiques sur plusieurs siècles et leur élimination a demandé à chaque fois un changement de paradigme :

- Le géocentrisme jusqu'à Copernic et Galilée
- Les orbites planétaires circulaires (le cercle, perfection divine) jusqu'à Képler
- La génération spontanée jusqu'à Pasteur
- La prédominance de la semence mâle dans la fécondation (contre l'avis d'Hyppocrate)
- Les fossiles proviennent d'exhalaisons sèches et les métaux d'exhalaisons humides; thème repris en 1640 par la baronne de Beausoleil
- Le siège de la raison se trouve dans le coeur, le cerveau ne servant que de réfrigérateur (contre l'avis d'Hyppocrate et de Platon)
- En mécanique, il existe un lieu naturel pour chaque chose, tout mouvement même uniforme demande une force motrice et il n'existe pas d'action à distance. Il faudra attendre Galilée, puis Newton pour remettre en cause ces idées.

Le changement de paradigme peut se faire d'ailleurs en soignant l'erreur par une autre illusion. La révolution dite copernicienne est en ce sens assez démonstrative. Avant Copernic, Ptolémée avait construit un modèle, fondé sur les épicycles qui approchait bien les données observationnelles et permettait l'établissement d'éphémérides corrects.
Copernic établit son système sur deux hypothèses fausses : les orbites planétaires sont circulaires et la vitesse sur ces orbites est uniforme. Il n'a aucune raison valable de mettre le Soleil au centre de l'Univers à la place de la Terre et sa théorie, aussi compliquée que celle de Ptolémée, ne donne pas de meilleurs résultats quand aux prévisions des éphémérides ! Copernic avait conçu l'ellipse mais avait abandonné l'idée, car non conforme aux canons de la perfection céleste et divine. Nous avons déjà vu le rôle joué par Galilée dans cette affaire.
Képler, lui tout d'abord, s'acharne dans l'erreur. Il essaie de ressusciter, mais sans succès, l'harmonie des sphères de Pythagore où l'ordre des planètes ne tient pas dans des proportions arithmétiques mais réside dans la géométrie. Chaque orbite serait circonscrite à un polygone régulier différent. Le nombre de ces polygones correspondait au nombre des planètes alors connues (Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne).
Ce problème de l'explication des distances des planètes au Soleil ne devait être résolu que très récemment par L. Nottale (NOTTALE L. (1995) « Fractal space time and microphysics », World scientific) en utilisant effectivement des considérations géométriques, liées à l'espace‑temps fractal. Képler n'utilisera l'ellipse pour Mars, que contraint et forcé, puisqu'il doit abandonner l'idée qui avait sous‑tendu toutes ses recherches, celle d'une harmonie divine dans les « sphères » célestes. Il était poussé par le désir de trouver un système explicatif harmonieux et les lois qu'il établiera ne seront pour lui que secondaires, d'ailleurs très mal mises en valeur dans ses textes, et ne deviendront fameuses qu'éclairées par la théorie de Newton.

Quelques exemples à la volée du génie erratique :

- Cristophe Colomb (1492) : l'erreur sur la circonférence terrestre (33 000 km), lui fait croire que la distance Europe‑Asie par l'ouest n'est que de 4 400 km. Il part donc en confiance et touche les Amériques
- Galvani (1786) : il expérimente sur l'électricité animale, en tire des conclusions fausses mais Volta réinterprète l'expérience et s'en sert pour fabriquer la première pile électrique
- Brown‑Séquard (1889) : il veut démontrer que les hormones sont fabriquées par des glandes et transportées par le sang. L'expérience consiste à injecter dans son propre organisme des extraits liquides d'un broyat de testicules de chien et de cochon d'inde. Le résultat dépasse toutes les attentes, mais ce ne sont pas les hormones qui agissent, puisqu'elles restent en quantité infime dans les glandes, c'est l'effet placébo : un bel exemple d'expérience non significative qui étaie une théorie juste
- Pasteur : ces premières études, en tant que cristallographe, portaient sur les cristaux faisant tourner la lumière polarisée vers la droite ou la gauche (dextrogyres, lévogyres). Il s'aperçut que la vie avait une affinité pour une des formes, les levures faisant pousser des cristaux dextrogyres. Il inversa la proposition sans précaution et proposa l'hypothèse que des conditions dissymétriques peuvent créer la vie. Cette faute de logique ( [p donc q] n'implique pas [q donc p] mais [non q donc non p]) l'amènera à s'intéresser aux levures et aux moisissures et à découvrir les théories qui feront sa gloire
- L'exemple de la découverte de la bombe atomique est un peu particulier. L'erreur ne sera pas féconde en tant que telle mais évitera aux allemands d'obtenir la bombe pendant la seconde guerre mondiale. En 1938, Hahn et Strassmann obtiennent, par fission de l'uranium, un élément beaucoup plus léger, le baryum. Ce résultat inattendu ne sera pas exploité par les allemands mais par les physiciens émigrés aux USA par l'intermédiaire de Lise Meitner, juive et résidant à Stockholm.
La logique de l'erreur - Typologie

L'erreur est une déviation par rapport à la vérité, « à savoir les rapports effectifs des choses ou les lois logiques de la déduction » (MOLES A.A. (1990) « Les sciences de l'imprécis », Seuil). Cette errance est créatrice, génératrice à la fois de l'erreur et de la vérité, quand le cheminement conduit vers de nouvelles connaissances. La vérité, en effet, se construit peu à peu en luttant contre les erreurs possibles, en explorant toutes les voies et en éliminant celles qui conduisent à des impasses. L'erreur est inséparable de la recherche du vrai, puisque l'une n'a pas de signification sans l'autre. L'invention suppose deux phases : la création d'une forme nouvelle et sa mise en congruence avec la logique universelle. La première phase est certainement la plus difficile mais aussi la plus valorisante. « Il est moins besoin de penser juste, il est nécessaire de penser neuf » (MOLES).

Le cas de l'erreur dite matérielle est un peu différent. L'erreur est ici déviation par rapport à une vérité connue, à des normes établies, erreur de calcul, de raisonnement déductif, de méthodologie bien établie, d'observation... L'erreur sera reconnue comme l'ennemi de la Vérité et du Bien et sera sanctionnée comme telle. C'est ainsi que, tous les ans, un fort pourcentage d'élèves sera dégoûté des mathématiques et complexé à vie pour avoir été confronté à l'erreur matérielle. Si les mathématiques étaient enseignées, non pas comme une vérité indiscutable, mais comme un ensemble de connaissances à découvrir, l'erreur changerait alors de statut. De matérielle et complexante, elle deviendrait génératrice de compréhension. Le droit à l'erreur serait ainsi rétabli, car nécessaire à l'acquisition de connaissances qui seraient alors vraiment assimilées.

Il est également des erreurs qui sortent du lot commun et jouent un rôle particulier dans l'avancée (ou le recul) de la science. Certaines sont particulièrement fécondes et même fondatrices de disciplines à part entière, d'autres sont fatales et discréditent à jamais leur auteur, d'autres encore résistent au passage des siècles et doivent attendre le changement de paradigme qui les éliminera, en bouleversant les structures mentales. Elles feront l'objet des deux billets suivants.

Il est possible aussi de distinguer des degrés dans l'erreur suivant l'écart reconnu à une certaine norme de rationalité :

- Les théories adhérentes qui furent vraies pendant longtemps et restent d'excellentes approximations. Par exemple, la relativité galiléenne sera remplacée par la relativité einsteinienne. Il s'agit souvent d'une question de champ de validité et parfois la limite n'est pas facile à déterminer car située dans un domaine inattendu.
- Les théories différentes à forte logique interne, comme celle de Lesage évoquée précédemment (utiliser la recherche par mot-clé pour retrouver le billet) ou les théories alternatives à la relativité généralisée d'Einstein dont le seul avantage est d'être plus simple mathématiquement. Dans le cas de Lesage, l'argument décisif prouvant la fausseté a été trouvé par Poincaré. Pour les théories alternatives, aucune preuve n'a pu encore être amenée.
- Les théories aberrantes, résultat d'une imagination hors norme, souvent bien construites mais qu'une réflexion rigoureuse permet de déstabiliser : la Terre creuse, le soleil froid, l'atome pneumatique...
- Les théories sidérantes : elles ont la saveur et la couleur de la science, mais ce n'est pas de la science. Le message délivré est sans signification et relève de la mystification.

L'étude des erreurs passées est formatrice dans le sens où, bien sûr, elle évite de reprendre les mêmes impasses - nous verrons bientôt ce que coûte la non prise en compte de ce point ‑ et où elle permet d'aiguiser l'esprit critique de l'étudiant, de le sortir de sa passivité devant un savoir dogmatique et de lui redonner confiance en soi.
Autres causes de blocage psychologique

Une autre cause de blocage psychologique est également la remise en cause d'une évidence sensible : la terre ne bouge pas ou alors très localement durant les séismes. Comment concevoir que les continents « flottent » sur le manteau et dérivent ainsi ? Le même problème a certainement dû se poser pour Copemic et Galilée quand ils affirmaient que la Terre tournait autour du Soleil. En tant que planète et sol sur lesquels vit l'homme, la « Terre‑mère » constitue le concept peut‑être le plus sécurisant mis à sa disposition. Remettre en cause la stabilité, pourtant sensoriellement évidente, de cet élément ne s'est pas fait impunément : Galilée et Wegener en auront été les principales victimes.

Voici un autre exemple de théorie mal reçue par la communauté scientifique en raison de la personnalité de son auteur. Thomas Young, après des siècles de domination du concept corpusculaire de la nature de la lumière, fit, en 1804, les fameuses expériences d'interférences montrant sa nature ondulatoire. T. Young est un médecin anglais et s'intéresse à des processus très variés : accomodation de l'oeil, propagation des ondes sonores pour l'audition, irisation des bulles de savon; son talent s'exercera même à une première interprétation de la pierre de Rosette. Mais il n'est pas reconnu en tant que physicien; de plus, la présentation de ses expériences d'interférences n'est pas pédagogique et sera contrée par un notable, lord Brougham, physicien réputé et futur lord chancelier. C'est en France que ses idées seront prises en considération, mais il faudra attendre qu'Arago fasse l'éloge funèbre de Fresnel (1827) pour que la nature ondulatoire de la lumière soit admise.

Viennent se rajouter à toutes les difficultés inhérentes à la méthode scientifique, les déviations liées à l'angoisse du chercheur devant l'inconnu (LEVY‑LEBLOND J.M. (1984) « L'esprit de sel. Science, culture, politique », Seuil, Points sciences) :

‑ La calculite : on nourrit l'ordinateur de chiffres en espérant qu'il conceptualisera à votre place.
‑ Le jargonage : le nouveau phénomène se verra attribuer un terme complexe pour donner l'impression que l'explication viendra bien vite après la description. Nommer, c'est déjà faire reculer l'inconnu. Le piège peut être également de donner aux objets des noms génétiques et pas exclusivement descriptifs. Le chercheur reste enfermé dans cette hypothèse génétique ce qui l'empêchera d'accepter une autre voie. « Les tufs soudés ou ignimbrite ne peuvent pas se mettre en place sous l'eau, car d'après leur définition, ils sont aériens. » Cette réponse péremptoire, fut obtenue d'un géologue minier, responsable de service, alors que j'essayais de lui montrer que ce critère négatif pour la recherche minière (le type de minerai recherché ne peut se former à l'air libre) ne tenait pas et que tout espoir était encore permis, même avec un volcanisme de ce type.

‑ L'extrapolation : il est si facile de poursuivre une droite sur un graphique vers l'origine par exemple. Mais parfois on sort du domaine de validité de l'expérience et cela peut arriver très vite surtout si les échelles sont logarithmiques. L'analyse scalaire est encore trop souvent éludée dans les sciences expérimentales.

Enfin, nous terminerons par les cas de censure (SCHIFF M. (1994) « Un cas de censure dans la science. L’affaire de la mémoire de l’eau », Albin Michel) où la communauté scientifique évite de se poser la question « Et si c'était vrai? ». Les procédés utilisés sont alors les suivants :

- On accuse l'auteur d'incompétence ou de folie. On crie au scandale ou à l'anarchie
- On ne cite pas la théorie
- La discipline se situe aux frontières de plusieurs sciences donc son statut de science n'est pas établie
- On traite l'auteur de fraudeur, d'être un adepte de la magie noire
- On le traite par la dérision.