mercredi 27 janvier 2010

La compréhension des concepts (fin)

L'explication des concepts pour chaque discipline est illusoire dans le temps imparti et ce rôle reste dévolu à chaque intervenant dans sa discipline privilégiée.

Il reste cependant possible, en un nombre d'heures restreint et dans les chapitres suivants, de brosser un panorama de l'avancée de la science qui ne se fait ni en ligne droite, ni continûment (rupture épistémologique) et qui marche parfois à reculons quand une génération entière de savants est décimée par une guerre. Les facteurs d'avancée sont rationnels, liée aux méthodes (Descartes, Bernard, Bachelard), mais aussi irrationnels liés aux passions, au talent de persuasion du savant et au contexte socio‑politico‑économico‑religieux du moment (Galilée, Pasteur, Darwin)... Le hasard joue aussi son rôle bien qu'il ne favorise que les esprits préparés, déjà en recherche sur une idée (Pasteur). Les obstacles épistémologiques, la validité des preuves et les erreurs seront analysés pour expliquer l'apparition de controverses tenaces et pour faire ressortir quelques grands traits du comportement humain face à l'acquisition de connaissances. Il s'agit de Connaissance et non de Vérité car cette dernière semble fluctuer d'un cadre conceptuel à un autre.

La construction des concepts est indissociable de la délimitation de leur champ d'application. Il faut donc introduire dans l'enseignement des théories fausses qui permettent par leur critique de circonscrire les domaines d'applicabilité des concepts. L'examen critique et la décision raisonnée de la validité des idées devraient être largement encouragés car très instructif. En effet, la réfutation des théories erronées fait appel à des savoirs divers et à leur coordination.

Un exemple de concept erroné est celui qui a constitué la base de la théorie de la gravitation de Lesage (XVIII ème siècle). L'action à distance, prônée par Newton, ne le satisfaisant pas, Lesage imagina que les corps célestes étaient constamment bombardés de particules. Si deux corps sont relativement proches, ils se font mutuellement écran et la proportion de particules atteignant les corps est beaucoup plus forte sur les faces qui ne sont pas en vis à vis. Les corps sont donc poussés l'un vers l'autre plutôt qu'attirés. Cette théorie avait au moins le mérite d'offrir un repos bien mérité aux anges qui jusqu'alors donnaient leur impulsion aux planètes. Cette théorie est cohérente et de nombreux auteurs ont donné des arguments de réfutation non valables. Par exemple Feynman (1980, « Nature de la physique », Seuil, Points sciences) : « Si la terre est attirée, elle avance et à l'avant, elle sera percutée par plus de particules qu'à l'arrière. Il y aura freinage et le mouvement ne pourra se perpétuer aussi longtemps qu'observé. » L'argument ainsi explicité dépend des vitesses respectives du corps et des particules pour déterminer le freinage et présenté sous cette forme n'est guère convaincant. Seul, Poincaré parviendra à trouver l'argument subtil mais décisif quelques deux siècles après Lesage. La réfutation d'une théorie cohérente mais fausse n'est donc pas évidente. Elle tient ici à la détermination du champ de validité de deux concepts antagonistes : l'action à distance et l'action par contact.

mardi 26 janvier 2010

La compréhension des concepts (suite)

L'explication n'exigeait pourtant qu'un bref détour historique :

Galilée ne connaissait pas la notion de force et ne faisait pas la distinction entre masse et poids. Passons donc tout de suite à Newton :
P= mG F= my
La simplification est obtenue pour m constante, ce qui est vrai pour des vitesses faibles. Par la théorie, Newton ne peut égaler les deux masses. II constate simplement par expérience, qu'elles sont proportionnelles et élude le problème en ne prenant qu'une seule masse.

La démonstration théorique ne viendra qu'avec Einstein, 250 ans plus tard. Cette démarche n'avait donc rien d'évident et méritait bien quelques explications. Il assimilera G a une accélération dans sa théorie de la relativité restreinte et établira le principe d'équivalence entre les deux masses, grâce à l'expérience de pensée où un personnage reste en apesanteur dans un ascenseur tombant en chute libre. Dans la véritable formule de Newton, où la force est égale à la variation dans le temps de l'impulsion F = d(mv)/dt, se trouve en germe la variation de la masse si chère à Einstein. Le fait d'avoir simplifié abusivement, mais l'expérience sensible donnait pour évidente la constance de la masse dans le temps, a bloqué la théorie jusqu'à Einstein et Poincaré.

Profitons de cet exemple pour illustrer le rôle important que peut jouer l'analogie dans la découverte. L'attraction gravitationnelle étant liée à l'accélération de la pesanteur, il est alors possible de faire l'analogie courante entre algèbre et géométrie (mouvement d'ailleurs initié par Descartes). L'accélération, correspondant à la dérivée seconde du déplacement (espace) par rapport au temps, sera l'analogue de l'inverse d'un rayon de courbure, comme la dérivée première est analogue à une tangente. De là émerge la notion de courbure de l'espace‑temps. Einstein a sans doute utilisé cette analogie mais l'histoire ou ses écrits n'en font pas mention. Nous reviendrons par la suite sur des exemples d'analogies fécondes, mais nous verrons aussi que cet outil doit être manié avec précaution.

mardi 19 janvier 2010

La compréhension des concepts scientifiques

L'enseignement de l'histoire des sciences, quand il existe, est souvent classé dans la rubrique « culture générale », en tant qu'appoint philosophique à l'enseignement scientifique. Cette vision risque de cantonner, encore pour un certain temps, cette discipline dans les matières optionnelles.

L'histoire des sciences est pourtant essentielle au moins dans les deux cas suivants :

‑ Elle permet d'apporter du sens à la science en expliquant l'éclosion des concepts, ce qui a poussé le chercheur a inventé ce concept, dans quel cadre il est utile et hors de quel domaine de validité il serait dangereux de l'appliquer. Dans un enseignement dispensé comme une profession de foi où les concepts, les principes et les formules tombent souvent du ciel, sans questionnement préalable, la croyance serait remplacée par la compréhension.

G.Bachelard dans "La formation d'un esprit scientifique", dit fort justement à ce propos : « Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux‑mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit. »
‑ L'histoire permet également de comprendre pourquoi... on ne comprend pas. L'analyse des erreurs passées évitent normalement de les reproduire et savoir comment les anciens ont surmonté les obstacles épistémologiques est riche d'enseignement pour la formation d'un esprit innovant. Ceci sera illustré dans la partie consacrée à la logique de l'erreur.

Mais revenons au problème du questionnement préalable et de l'explication des concepts, avec pour illustration un petit exemple vécu. Dans les années 70, les cours de physique pour débutants (et j'étais une débutante particulièrement motivée) commençaient par de la mécanique, matière qui paraissait peut‑être plus proche de l'expérience sensible que l'électromagnétisme. L'étude des forces nous amenait à différencier le poids P = mg, de la force inertielle F = my. Présentées sous cette forme, les formules sont très analogues et il ne faisait aucun doute pour moi que « m » représentait le même concept dans les deux cas. Quelle ne fût pas ma surprise quand on nous annonça le principe d'équivalence entre masse inertielle et masse pesante! Apparaissaient alors sans crier gare, deux masses distinctes qui s'annihilaient instantanément puisqu'équivalentes. Mon malaise, devant ce principe tombé du ciel, reflétait en fait un dysfonctionnement fréquent de l'enseignement scientifique : donner une réponse à une question qui n'existe pas dans la tête de l'élève et parfois dans celle du professeur. Cette analyse, bien sûr, je ne l'ai faite que bien plus tard et ma motivation sur le moment m'a permis de garder foi en la science et c'est bien le terme qui convient en cette occurrence ...

lundi 18 janvier 2010

Enjeu n°3 L'intégration culturelle

Les facteurs d'évolution de la science nous ont déjà plongés dans le cadre culturel du scientifique. Le temps est bien révolu des savants fortunés qui se consacraient à des recherches déterminées par eux seuls (et même à ce moment là, la société par le biais des idéologies était influente). L'activité scientifique est intégrée à la vie de la cité et doit trouver sa dimension culturelle. Cette intégration a cependant un côté moins plaisant, celui des relations de la science avec le pouvoir et l'argent. S'expliquent ainsi les diverses dérives de la science par rapport à l'idéal énoncé auparavant au titre des idées reçues.
Gérer le potentiel humain, devient primordial pour l'ingénieur (les tests actuels de sélection à l'embauche le prouvent) et l'innovation ne pourra se développer que dans un contexte où l'humanisme retrouvera droit de citer. « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme », cette citation de Rabelais garde toute sa fraîcheur.

vendredi 15 janvier 2010

Enjeu n°2 : Analyse de la progression de la science

Au changement d'échelle près entre science/société et théorie/chercheur, il, semble que l'évolution de la science reflète assez bien le parcours du chercheur lors de l'élaboration d'une théorie. Elle peut donc éclairer ou conforter les motivations du comportement scientifique. La science est souvent perçue comme linéaire et cumulative. Ceci vient simplement de l'image que nous en donne l'enseignement pour des raisons de commodités pédagogiques. Si la pensée créatrice est 'brownienne", l'évolution des théories ne l'est pas moins et seule une grande puissance d'oubli, caractéristique des humains, peut donner l'impression d'une progression régulière en droite ligne vers la Vérité.

A chaque rupture épistémologique ou changement de paradigme, l'ensemble du cadre conceptuel est renouvelé. Ces discontinuités rythment la progression scientifique et le piège de l'histoire serait d'analyser des découvertes anciennes au travers du filtre des conceptions actuelles. En prenant cette précaution, il est cependant possible de repérer les convergences et les bifurcations qui émaillent le parcours spatio-temporel de la science et d'en analyser les facteurs d'avancée ou de recul.
L'évolution historique en elle-même ainsi que l'étude de sciences historiques telles que la théorie de l'évolution ou la géologie font réapparaître un facteur, souvent oublié, le temps. Cette prise en compte, tardive dans les sciences fortement mathématisées (idéal platonicien), permet d'espérer des avancées significatives dans le domaine de la physique macro et mésoscopique.

jeudi 14 janvier 2010

Formation d'un esprit scientifique innovant (fin)

« Connaître, c'est naître avec. » (P. Claudel). L'esprit, de passif devant une litanie de lois et de formules tombées du ciel, devient actif et souple. Inquiet et soumis au doute, il refuse l'argument d'autorité. Conscient des processus cognitifs, il peut espérer en activer certains pour la résolution de problèmes nouveaux. Les 'mécanismes' de la pensée créatrice ne sont pas entièrement connus. Trouver une hypothèse nouvelle semble relever de deux types de processus :

(1) Les uns sont plutôt heuristiques. Les pensées sont agitées d'un mouvement brownien et les informations non structurées et non reliées entre elles vont s'organiser lors du déclic de l'intuition, comme inconsciemment. Le rôle de l'irrationnel et des fantasmes humains est incontestable dans ce type de processus. J'emploierais, pour illustrer ce propos, la métaphore de l'attelage des chiens de traîneaux :

Dans l'attelage inouït, les chiens sont tous directement reliés en éventail au traîneau. Contrairement à l'attelage occidental, où les chiens sont attachés par couple les uns derrière les autres, avec un chien de tête.

Le premier symbolise la pensée « anarchique » (créative), c'est à dire, sans chien dominant. Le traîneau avance par la volonté commune de tous les chiens. Le second symbolise la pensée « hiérarchique » (moutonnante), avec un chien de tête dominant. Les autres chiens avancent les uns derrière les autres, ayant comme motivation principale de dépasser le chien de tête. Dans le premier cas, l'attelage sera plus fiable, mais aussi plus difficile à gérer car chaque chien doit être capable de suivre le bon chemin et, en cas de discorde, les harnais s'emmêleront facilement. Cette organisation reflète celle des cultures sans structure politique forte (inouïts, pré‑incaïques, bushmen, grecs antiques, ... ). Le second cas illustre celle des cultures fortement structurées (incas, aztèques, romains,... ). Tout repose sur le chien de tête qui pilote le traineau. C'est un gage d'efficacité jusqu'au moment où il tombe dans l'eau, entraînant à sa suite l'ensemble du traîneau, ce qui n'arriverait pas dans le cas de l'attelage inouït. Les aléoutes, les cités grecques et les cités italiennes de la Renaissance sont des exemples reconnus de créativité artistique et scientifique. S'oppose à ceci, l'efficacité militaire et administrative des romains et des incas.

(2) L'autre type de processus relève plus de la méthode. Nous citerons rapidement quelques techniques de créativité dont la méthode par analogie qui sera développée et illustrée par des exemples historiques.

mercredi 13 janvier 2010

Enjeu n°1 - Formation d'un esprit scientifique innovant

Je citerais en exergue B. Jarrosson (« Invitation à la philosophie des sciences », Seuil, Points sciences, 1992) : « La science n'est pas enseignée dans sa perspective historique... L'élève ne trébuche pas toujours par sa faute ; à force de lui cacher la genèse de ce qu'on lui apprend, la science scolaire s'enrobe d'un mystère qui accroît la difficulté. Un enseignement détaché de son histoire ne restitue pas le questionnement, si important pour le développement et la compréhension de la science... En revenant à certains moments forts de l'histoire, une nouvelle idée de la science émergeait pour les élèves et, avec elle peut être, une façon un peu différente d'envisager le métier (d'ingénieur) qui les attendait. La science sortait de son ghetto de discipline fermée pour devenir une ouverture sur le monde. »
Cette position se retrouve dans l'introduction de J. Dhombres à ses conférences sur l'histoire des sciences données à Centrale Nantes (1993).

Le questionnement est à la base d'une connaissance réelle (Bachelard G., "La formation de l'esprit scientifique", Vrin, 1972). Les concepts, énoncés sans la problématique qui a donné lieu à leur élaboration, seront privés de leur sens profond et certainement mal utilisés. L'histoire peut redonner du sens à la science en mettant en relief les conditions d'émergence des concepts et leur domaine de validité qui conditionne la plausibilité de la théorie dont ils forment l'ossature. Plus prosaïquement, elle stimule l'explication des formules, la vérification de leur homogénéité, l'interprétation de leurs divers paramètres et le rapprochement de diverses disciplines via l'analogie de leur structure.

Les concepts sont les éléments constitutifs de la théorie qui les rassemble en un tout cohérent. Après un rapide survol de l'évolution des modes de raisonnement, nous verrons que les critères de validation ou de réfutation d'une théorie, loin d'être universels, dépendent eux aussi en partie du cadre conceptuel de l'époque.
A cette occasion, il sera utile de préciser ce qui différence la pratique scientifique de la magie car les non‑scientifiques actuellement ont beaucoup de mal à distinguer les deux pour les raisons suivantes : l'image de la science relève plus du mythe que de la raison et des cautions scientifiques sont données à des pratiques magiques (analyse astrologique par ordinateur).

Une bonne part de la production scientifique est ou sera classée dans le lot des erreurs. Il serait dommage de n'en tirer aucun enseignement. Certaines erreurs dites fatales sont bonnes à connaître pour éviter de retomber dans leur piège létal. D'autres, plus bénignes, correspondent aux voies explorées transformées en impasses. Les répertorier fera gagner du temps. D'autres encore, les plus bénéfiques, féconderont tout un pan de recherche. Enfin, il est des erreurs tenaces, vieilles de plus d'un millénaire, dont l'analyse révèlera sans doute une structure archétypique caractéristique de l'esprit humain.

mardi 12 janvier 2010

L'enjeu (suite)

Il faut donc adapter le type d'enseignement dispensé au nouveau métier d'ingénieur. L'entraînement à la pratique de l'induction et de la modélisation peut être développé grâce à deux méthodes complémentaires:

La prise de conscience du besoin d'une théorisation par la confrontation aux problèmes technologiques concrets. La théorie est découverte et mise en oeuvre en fonction du besoin pratique. Le questionnement, nécessaire à toute connaissance, est induit ici par la pratique. Cette démarche est possible et nécessaire dans le cadre d'un enseignement organisé partiellement en projets (industrie ou recherche), mais elle est lourde à gérer et n'est pas exhaustive.

L'enseignement de l'histoire des sciences peut alors prendre le relais sous deux formes distinctes et complémentaires :
Intégrée dans chaque discipline, elle permet (1) d'expliquer l'émergence (nécessaire ou aléatoire) des concepts, en insistant sur le sens physique, le domaine de validité et l'homogénéité des formules, et (2) de mettre en évidence les concepts‑clés de la discipline qui serviront de jalons pour sa compréhension globale.
Seront explicités à l'aide d'exemples, les méthodologies, les déclics créateurs et la progression des connaissances qui est encore trop souvent perçue comme linéaire et cumulative. Le déroulement du cours sera donc transdisciplinaire et s'attachera à dégager des notions relatives aux processus cognitifs en science et à leur évolution.
L'enseignement des sciences se résume souvent à l'exposé des acquis scientifiques à un temps t donné. Cette démarche n'est pas suffisante pour pouvoir former un esprit critique, s'écarter des tentations du dogmatisme et de l'idée d'une progression constante et linéaire vers la Vérité, établie à jamais et totalement déconnectée de son environnement culturel. Une telle vision de la science, statique et couleur d'ivoire, ne prédispose pas à l'innovation. Les différents chapitres de ce cours espèrent en présenter une vision plus réaliste et surtout plus féconde. Suivant Lévy‑Leblond (14), «la science doit cesser de se croire cumulative, l'épistémologie normative et l'histoire descriptive. Il faut abolir les frontières entre les trois ».

lundi 11 janvier 2010

L'enjeu d'une histoire des sciences

La résolution innovante de problèmes posés dans l'industrie, travail attendu de tout ingénieur, nécessite une certaine aisance dans la manipulation des concepts scientifiques et une reconnaissance de leur adéquation aux problèmes concrets. Cette proposition peut être illustrée comme suit :

Phase I d'induction : du problème concret à la reconnaissance des concepts adaptés au problème
Phase II de modélisation : des concepts à la formalisation (domaine de validité)
Phase III de déduction : de la formalisation aux solutions formelles (résolution)
Phase IV de savoir-faire : des solutions formelles aux solutions applicables et commercialisables (innovation).

Le savoir‑faire, bien que transmis au cours des études, surtout si elles sont connectées avec le milieu industriel, reste néanmoins le privilège de l'expérience.
La phase déductive, souvent liée à la simulation, est largement enseignée par le biais des mathématiques et, maintenant, bien automatisée grâce à la puissance de calcul des ordinateurs.
La phase modélisation ne fait l'objet pour l'instant que d'un enseignement spécialisé et de haut niveau (certaines grandes écoles, départements de mathématiques appliquées en faculté).
Quant à la phase inductive, correspondant à la phase de positionnement du problème,
elle est le plus souvent passée sous silence. A l'école, on n'apprend pas à poser un problème avec des données d'entrées surabondantes et souvent imprécises ou sujettes à caution.

Au XIX ème siècle, le métier d'ingénieur alliait le scientifique au technique et une seule et même personne pouvait et se devait d'enchaîner harmonieusement les quatre phases.
Au XX ème siècle, les ingénieurs, confrontés à des calculs de plus en plus complexes, ont privilégié les phases III et IV, dérivant ainsi vers la technicité et laissant aux scientifiques le soin de résoudre les phases I et II.
Il semble néanmoins que, depuis les années 80, l'ingénieur, libéré des calculs par l'ordinateur, poussé vers l'innovation par des contraintes de concurrence de plus en plus fortes et peut‑être aussi un peu déçu par le manque d'adéquation au concret des solutions apportées par les scientifiques, reprenne en main les phases d'induction et de modélisation.
Cette évolution a été anticipée d'une vingtaine d'années par quelques catégories d'ingénieurs, polyméristes, géologues, agronomes, dont le sujet d'étude demandait une intuition nourrie d'une longue expérience, une maitrise des changements d'échelle au sein de systèmes complexes et compliqués (la complexité est liée au manque d'information) et la prise en compte d'un facteur souvent éludé, le temps.
Il faut donc adapter le type d'enseignement dispensé au nouveau métier d'ingénieur.

vendredi 8 janvier 2010

Les idées reçues (fin)

La science et le progrès

La recherche fondamentale finira tôt ou tard par déboucher sur des applications bénéfiques et contribuera au bonheur de l'homme.

En fait, le progrès technique a précédé celui des sciences jusqu'à Galilée. Ensuite une progression harmonieuse et équilibrée a pu se maintenir jusqu'à la fin du XIXème siècle. Par la suite, la science a pris le pas sur la technique qui s'est alors vue dépréciée.

La science et le progrès technique, social et intellectuel

Cette association fortement ancrée dans les esprits vient du siècle dernier.
Mais trop souvent, l'impulsion des recherches a été donnée par la guerre ou l'expansion coloniale. En fait, la science ne peut rien pour le bonheur de l'homme si ce dernier reste violent.

« Le rôle éducatif attribué à la science explique la part importante qui lui est faite dans l'enseignement, secondaire en particulier. Les mathématiques et la physique y sont supposées fournir un entraînement au raisonnement et à la rigueur, en même temps qu'un savoir effectif sur le monde. Mais, trop souvent, ne sont enseignés de la science que les aspects les plus dogmatiques : énoncés de résultats privés de leur contexte intellectuel, coupés des conditions historiques complexes de leurs origines, abstraits de leur relation avec les problèmes du présent. Alors que la science est censée offrir le modèle idéal de la rationalité et de la compréhension, son enseignement en général la transforme en un dogme autoritaire, ensemble de formules ou de lois à prendre ou plus souvent à laisser. Cette fausse transparence en fait bien évidemment un redoutable instrument d'intimidation intellectuelle et de sélection sociale: les mathématiques ont très avantageusement remplacé le latin dans cette fonction essentielle de l'instruction publique ».

La science, en tant qu'activité humaine, est capable d'engendrer le meilleur comme le pire parmi ses adeptes. Si elle était un passeport privilégié pour l'honnêteté, le désintéressement et l'humanisme, la société ne serait pas ce qu'elle est actuellement. Les quelques personnalités exceptionnelles ne doivent pas faire oublier l’ensemble de la population scientifique.

Ces premières réflexions, largement inspirées de LEVY‑LEBLOND J.M. (1984) « L'esprit de sel. Science, culture, politique » (Seuil, Points sciences) portent en germe l'ossature des chapitres constitutifs de ce cours. Elles seront reprises et illustrées par de nombreux exemples pris dans l'histoire des sciences avec des objectifs et des enjeux bien précis, énoncés au chapitre suivant.

jeudi 7 janvier 2010

Les idées reçues (suite)

La science est méthodique

Elle peut se résumer à une mise en évidence attentive et systématique des faits, à la formulation d'hypothèses théoriques, à la déduction de conséquences observables, à la vérification expérimentale des conséquences et enfin à la validation ou au rejet de la théorie.

C'est un parcours que l'on s'efforce de suivre mais :

‑ Il n'existe pas de faits bruts. En fait, les théories admises et les conjectures pèsent lourd. Et en conséquence de cela, on ne voit souvent que ce que l'on s'attend à voir. L'observation, hors tout contexte théorique, est illusoire. L'exemple de la supernovae de 1610, observée par les chinois et non répertoriée par les occidentaux, est en cela caractéristique. La croyance en un monde céleste immuable, sans corruption (notion antique) a inhibé la prise en compte de l'observation en occident.

‑ L'hypothèse précède donc souvent l'observation. Et comme il n'y a pas de méthode infaillible pour formuler une nouvelle hypothèse, tout ce qui stimule l'imagination est alors bon (FEYERABEND P. , « Contre la méthode. Esquisse d'une théorie anarchiste de la connaissance », Seuil, Points sciences, 1975) : rapprochements d'idées incongrus, références culturelles lointaines ou analogies infondées. Suivant Einstein: « il faut être un opportuniste épistémologique faisant feu de tout bois ».
‑ La vérification des prédictions ne sera que partielle et la crédibilité d'une vérification ou d'une réfutation dépend de toute façon des théories admises et des cadres de pensée en cours.

mercredi 6 janvier 2010

La science : les idées reçues (suite)

La science est objective

C'est souvent le critère employé pour caractériser la science vis à vis d'autres activités jugées subjectives telles que l'art, la politique, la magie,... Nous verrons plus loin ce qui différencie effectivement les activités de la science de celles de la magie.
Mais l'invention est une activité cérébrale donc tributaire des préjugés métaphysiques, religieux, culturels et esthétiques. Ils peuvent être d'ailleurs fécondants ou stérilisants suivant le type de recherche entreprise ou le contexte culturel de l'époque. Des méthodes ont été explicitées (Descartes, Bachelard ...) pour éviter les effets nocifs de ces préjugés, mais les deux effets sont difficilement séparables et souvent le résultat revient à « jeter le bébé avec l'eau du bain ».

lundi 4 janvier 2010

En hommage à la métallogénie, un pôle transdisciplinaire des Sciences de la Terre, disparue en Europe prématurément.

La science : les idées reçues

La science est neutre

Les découvertes scientifiques seront utilisées à de bonnes ou de mauvaises fins selon le bon vouloir des hommes politiques. Les scientifiques ne seront pas responsables de cette utilisation.

Mais ces derniers revendiquent les honneurs lorsque les applications sont bénéfiques. Ils ne seraient donc responsables que de celles‑ci? De plus, le contexte socio‑politique entre pour beaucoup dans l'orientation des recherches et aura tendance à favoriser celles susceptibles de déboucher sur des applications lucratives ou utiles aux militaires. La cité et les scientifiques sont donc étroitement liés, en amont, pour le financement‑orientation et, en aval, pour les applications et la forme qu'elles prennent (par ex : la centralisation de l'exploitation de l'énergie nucléaire).