lundi 31 mai 2010

Le social et le scientifique

L'exemple de Pasteur est également édifiant. Nous avons déjà vu que les expériences de Pasteur n'étaient pas totalement probantes. Pouchet montre que les expériences de Pasteur ne marchent pas, mais la théorie de Pasteur est dans l'air du temps puisque compatible avec la théorie de l'évolution des espèces, (chaque individu doit avoir des parents). Quels sont alors les facteurs qui ont permis à Pasteur de l'emporter ? Les deux acteurs rivalisent de conservatisme, ce n'est donc pas le facteur déterminant. Pasteur est parisien et académicien, Pouchet provincial et simple correspondant de l'Académie. Celle‑ci soutient Pasteur et, Pouchet abandonne la lutte, mais ce n'est pas définitif. Pour l'instant, ni les préjugés idéologiques, ni le poids des organisations officielles ne sont décisifs. Mais Pasteur est un habile orateur : « Pasteur sut faire bon usage du prestige croissant de l'expérimentation auprès de l'Académie. Contrairement à Pouchet, il ne commis pas l'erreur d'envelopper ses résultats dans une longue discussion philosophique, quasi métaphysique, de la génération spontanée. Pasteur savait aussi comment mettre en valeur son propre travail. L'historique qu'il fait de la question ignore intelligemment une série d'arguments ayant déjà servi à discréditer la génération spontanée. (...) Pasteur minimise les réussites de ces prédécesseurs expérimentalistes comme Schwann, Schulze, Schroeder et Von Dusch, en attirant l'attention sur leurs résultats les moins concluants. Puis à la fin de son chapitre, ii relie habilement son intérêt pour la génération spontanée à ses travaux précédents sur la fermentation.(... ) En France au moins, le travail de Pasteur sur la fermentation était déjà réputé. Il avait abouti à une victoire française sur la théorie chimique allemande de Liebig et il semblait promettre de grands résultats pratiques pour la fabrication des vins et des bières » (Collection des cahiers de Science et Vie : les grandes controverses, les pères fondateurs, les grands ingénieurs). Les talents en rhétorique de Pasteur ont donc finalement permis de faire accepter ses idées.

Nous allons maintenant revoir un cas où le non rationnel a bloqué une théorie, celle de Wegener. Nous avons déjà vu qu'une des raisons de rejet de cette théorie a été le manque d'explication du moteur de la dérive des continents. L'autre raison, celle‑ci beaucoup moins avouable, est liée à la personnalité de Wegener. Ce dernier est météorologue et se permet de mettre à bas les théories dominantes établies par des spécialistes en biologie, paléontologie, géologie et géophysique. Sa position transdisciplinaire le porte au‑dessus des spécialistes et ce comportement est encore actuellement très mal vu, même si les instances dirigeantes l'encouragent, avec parfois un prix Nobel à la clé (De Gennes, 1991). Nous verrons d'ailleurs que cette démarche de curiosité horizontale est un gage d'innovation. Mais les résistances individuelles sont tenaces et c'est vrai qu'il est difficile d'accepter de voir ruiner, en un instant, par l'intervention d'un non spécialiste même génial, des travaux ayant demandé plusieurs années d'effort.

mercredi 26 mai 2010

Les passions du savoir

Ce titre évocateur est emprunté à P. Thuillier (THUILLIER P. « Les passions du savoir. Essais sur les dimensions culturelles de la science », 1988, Fayard).
La dimension humaine, faite de sentiments, de passions et d'irrationnel, interfère de manière bénéfique ou non avec la vie des théories (acceptation ou rejet) et intervient également dans la phase d'inspiration du chercheur en quête d'idées nouvelles.

Pour illustrer le rôle bénéfique de la psychologie dans l'acceptation de théories importantes nous prendrons l'exemple de Galilée et de Pasteur, figures hautement symboliques de la Science. Néanmoins, la reconnaissance de leurs idées doit beaucoup à leur talent de persuasion (ce furent en effet tous deux de grands orateurs), à la puissance de leur séduction et également au climat socio-­économique de leur temps.
Dans ce sens, nous citerons deux extraits de « Contre la méthode » de P. Feyerabend, le premier justifiant, de manière générale, le rôle de l'irrationnel, le second ayant trait à un cas particulier, celui de Galilée :
1- « Il est clair que l'attachement aux idées nouvelles devra être provoqué par d'autres moyens que des arguments. Par des moyens irrationnels tels que la propagande, l'émotion, les hypothèses ad hoc et l'appel à des préjugés de toutes sortes. Nous avons besoin de ces moyens irrationnels pour soutenir ce qui n'est qu'une foi aveugle jusqu'à ce que nous ayons trouvé les sciences auxiliaires, les faits, les arguments qui transforment cette foi en connaissance solide. »
2- « Pour vérifier Copernic, il faut une conception du monde entièrement nouvelle, y compris une nouvelle conception de l'homme et de ses capacités à connaître. (...) Certains phénomènes observés au télescope sont manifestement coperniciens. Galilée présente ces phénomènes comme des preuves indépendantes en faveur de Copernic. Mais, le fait est plutôt, qu'une conception réfutée - le Copernicianisme ‑ présente une certaine ressemblance avec des phénomènes émergeant d'une autre conception également réfutée ‑ l'idée que les phénomènes télescopiques sont des images fidèles du ciel. Galilée l'emporte grâce à son style, à la subtilité de son art de persuasion, il l'emporte parce qu'il écrit en italien et non en latin, enfin parce qu'il attire ceux qui, par tempérament, sont opposés aux idées anciennes et aux principes d'enseignement qui y sont attachés. (...) Copernic est le symbole des idéaux d'une nouvelle classe qui tourne ses regards vers le passé classique de Platon et de Cicéron et vers l'avenir d'une société libre et pluraliste. (...) Galilée exploite la situation et il renforce ses positions par ces astuces, ces mots d'esprit et ces non sequitur dont il a le secret. »

Voici quelques exemples de théories qui furent imposées par la passion, la vanité, l'entêtement malgré des preuves tangibles pouvant constituer une réfutation à l'époque de leur élaboration : la théorie de la gravitation de Newton, le modèle atomique de Bohr, la relativité restreinte et générale d'Einstein... Ces théories bien que non validées complètement, mais quelle théorie le serait en fait, ont été adoptées aussi pour leur utilité dans la résolution de nombreux problèmes.

mardi 25 mai 2010

Appropriation ‑ Dépossession

« En effet, c'est la même chose que penser et être » ‑ Parménide (500 av. J.C.). Descartes connaissait ses classiques et sa fameuse maxime « cogito ergo sum » (je pense donc je suis) qui a contribué à sa gloire, avait déjà quelques siècles d'existence. Ce petit paragraphe servira seulement à montrer que le génie n'excuse pas certains défauts humains, ici, le manque de scrupules vis à vis de prédécesseurs ou de contemporains. Il est vrai aussi que citer ses sources est une habitude très récente. Il permettra également d'introduire le paragraphe suivant sur la dimension humaine des scientifiques et son influence sur l'évolution de la science.

- Le modèle de l'atome de E. Rutherford s'est vu approprié par Lord Kelvin.

- Darwin s'est largement inspiré, sans les citer, des travaux de Lamarck, son aîné, et des observations de Wallace, son contemporain et compatriote.

- Les textures du minerai de fer ont été étudiées par J. Serra au moyen de méthodes de morphologie mathématique. Par la suite, l'exploitation industrielle du brevet l'a dépossédé de sa technique.

- La dérive des continents a été expliquée grâce aux observations d'américains, Mason et Raff, Hess, Wilson, Vine et Matthews. Un maître français de la tectonique, ayant collaboré avec eux, revendique la paternité de la tectonique des plaques.

- Quant à Descartes, il est allé jusqu'à justifier ce comportement en mettant en avant sa nouvelle méthode. Lui seul détient les moyens d'apporter de véritables connaissances. "2000 ans de travaux et de découvertes sont effacés pour être réécrits" [selon les préceptes de sa méthode] (SERRES M., « Eléments d'histoire des sciences », ouvrage collectif, 1989, Bordas). C'est en effet le cas de la loi de réfraction de la lumière où seront laissés dans l'ombre, dans l'ordre historique, Archimède, Euclide, Ptolémée, AI Haytham, Witelo, Brahé, Képler et Snell. C'est en fait ce dernier qui énonça la loi de réfraction : sin r/sin i = constante, quelque soit i. Ecoutons Descartes : « La loi de la réfraction est démontrée par le fait que la proportion AH à IG demeure la même en toutes réfractions. » Cette tautologie insiste sur la généralité de la loi mais ne la démontre en aucune manière. Descartes n'a donc rien apporté de plus que Snell. Par contre, il a réfléchi sur la nature de la lumière : elle est tour à tour, en un ensemble peu cohérent, « bâton, fluide très subtil et petites billes virevoltantes », selon les besoins d'interprétation de différents problèmes. Mais la lumière n'est‑elle pas, en effet, rayon lumineux, ondes éthérées et corpuscules ?

vendredi 21 mai 2010

Oublis et redécouvertes

L'oubli d'une théorie, contrairement au rejet, est rarement prémédité. Il peut provenir d'une certaine paresse intellectuelle à rechercher des travaux anciens ou à prendre en compte une théorie qui apparaît comme trop novatrice, mal adaptée à l'air du temps. Les travaux des prédécesseurs seront jugés dépassés, sans vérification préalable, tels ceux de naturalistes du siècle dernier, fondés sur des observations, sous prétexte qu'ils datent. En fait, à ce moment là, ne pouvant disposer de techniques d'analyse performantes, les chercheurs concentraient tous leurs efforts sur l'observation, qui était de qualité.
Une autre cause d'oubli, celle‑ci dramatique, est la disparition pure et simple d'une génération de chercheurs qui auraient pu transmettre leurs connaissances. Ceci est arrivé en France à la suite de la grande guerre. Les personnes instruites, de l'instituteur à l'ingénieur, se sont retrouvées enrolées avec le grade d'officier. Les officiers, se devant de montrer l'exemple aux hommes de troupe, dirigeaient les assauts en tête de leurs troupes. Le carnage fut impressionnant. Une confirmation frappante vient, entre autres, du taux de survie des promotions de l'Ecole Normale Supérieure dans cette période là. « Sur les deux cent quarante élèves des promotions 1910, 1911, 1912 et 1913, cent vingt sont morts au combat et quatre vingt dix sept sont blessés. Seuls, vingt trois reviendront sains et saufs. » (MASSON N. (1994) « L’Ecole Normale Supérieure », Découvertes Gallimard, n°221). Ce taux est légèrement inférieur au dixième. "Décimer" est donc le terme exact pour exprimer le phénomène... Les conséquences en seront tragiques dans certains domaines de la science, où l'apport de l'expérience des anciens, souvent transmise oralement, est important, comme la géologie qui a vu régresser beaucoup de concepts intéressants entre les deux guerres. Nous verrons d'ailleurs à ce propos que non seulement des faits et des concepts sont oubliés mais que les théories dérivent vers les mythes car elles ne sont plus réfutées. La pratique n'existant plus, il est facile d'avoir de l'imagination tout en sachant qu'il n'y aura pas de sanction par les faits de terrain.

La théorie de Mendel peut illustrer l'une des causes d'oubli citées plus haut, mais il s'agit d'un cas un peu particulier (Collection des cahiers de Science et Vie : les grandes controverses, les pères fondateurs, les grands ingénieurs). Les découvertes de Mendel, lois de la ségrégation et combinaison indépendante des caractères lors de la reproduction, n'ont pas été reconnues avant d'être redécouvertes par trois botanistes, De Vries, Correns et Tschermack, quelques trente cinq années plus tard. « Redécouverte » est un terme sans doute inapproprié puisque ces chercheurs avaient besoin de l'article de Mendel pour saisir la signification de leurs résultats. Il n'en reste pas moins que la prise en compte par la communauté scientifique a demandé trois décennies alors même qu'il n'y avait pas eu rejet explicite. La spécificité des travaux de Mendel semble simplement avoir été ignorée, les quelques citations de ses articles faisant toujours référence à ses talents d'hybrideur et non pas aux fameuses lois qui fonderont la génétique. L'explication la plus probable serait celle d'une théorie peut‑être trop en avance sur son temps. C'est surtout une théorie explicative, sous forme combinatoire, permettant de comprendre des techniques utilisées, de manière empirique, par des botanistes hybrideurs contemporains de Mendel et à cette époque ces derniers ne trouvent guère d'intérêt à une théorie qui n'apporte pas d'amélioration aux techniques existantes. Plus tard ses résultats seront repris en considération car les progrès en biologie ont déplacé les problèmes des techniques d'hybridation vers la compréhension des mécanismes de l'évolution des espèces.
Enfin, l'oubli de concepts conduit de temps en temps à de vraies redécouvertes : l'origine superficielle de certains minerais, les réactions chimiques oscillantes, ...

jeudi 20 mai 2010

Rejet, oubli et redécouvertes

Le rejet d'une théorie peut advenir de trois manières différentes :
‑ Par la réfutation (la voie de recherche est sans issue). Des arguments incontestables ont été trouvés permettant d'écarter la théorie. Ces théories fausses sont plus ou moins tombées dans les oubliettes de l'histoire, mais il est bon d'en exhumer quelques unes par souci pédagogique, comme nous le verrons plus loin au paragraphe consacré à la logique de l'erreur.
‑ Par la censure (la voie est en sens interdit). On ne saura jamais si la théorie était vraie ou fausse car les autorités scientifiques ont dénié toute signification aux expériences et ont bloqué tout développement ultérieur. La théorie était trop gênante car semblant remettre en cause un pan important de la science officielle, alors qu'elle tentait une ouverture, vers un nouveau champ de recherche encore inexploré : mémoire de l'eau avec une ouverture vers le domaine d'organisation mésoscopique de la matière, même si les explications fournies ne semblent pas suffisamment étayées, biomagnétisme prenant en compte les interactions des ondes BF avec l'organisme vivant...
‑ Par le manque de preuves décisives ou d'explications probantes (la voie est submergée momentanément). En fait, la théorie après une période plus ou moins longue de mise en quarantaine, sera finalement acceptée car de nouveaux éléments plus décisifs seront mis en évidence. Le nombre de théories ou lois, ainsi étouffées pendant quelques dizaines d'années, est historiquement important. Ce phénomène, sous couvert d'arguments méthodologiques, illustre bien la résistance fréquente de la communauté scientifique aux découvertes. La prudence se convertit alors en frilosité. En voici quelques exemples parmi d'autres : la théorie de Wegener sur la dérive des continents, l'observation des taches solaires d'Alfvén, la théorie ondulatoire de la lumière de Young, l'induction électromagnétique de Faraday tant que la théorie de Maxwell ne fût pas établie (le fait n'existe pas sans l'explication), les microbes de Pasteur, les gènes 'sauteurs' de Mc Clintock...

Le cas le plus édifiant est sans doute celui de la théorie atomiste. Le concept d'atome (BALIBAR F., « L'atome de discorde », Science et Avenir, Nov.92) élaboré par les grecs Leucippe et son élève Démocrite (V ème siècle av. J.C.), repris par Epicure (III ème av. J.C.), attendra deux millénaires et cinq siècles pour être adopté par la communauté scientifique, grâce à la contribution d'Einstein et Perrin au début du siècle dernier. L'idée de l'atome a d'abord été très utile en chimie pour expliquer la loi des proportions définies. Mais déjà une controverse s'instaure entre les partisans de l'atome réel avec Galton (1820) et ceux d'un équivalent d'une unité de réaction chimique, comme Davy. Au XIX ème siècle globalement, suivant Kékulé, le concept d'atome est utile mais relève de la métaphysique, tel que le concevaient les grecs. La position des savants positivistes, tel que Berthelot, est d'ailleurs claire sur ce point : l'atome n'est pas observable ou mis en évidence expérimentalement, donc il n'existe pas. Dans le même temps, l'atome est défendu par des physiciens héritiers de Newton, comme Boltzmann et Maxwell qui développent la mécanique statistique, discipline ayant pour but d'établir un lien entre le microscopique (comportement des molécules) et le macroscopique (chaleur, pression, ... ). Ils se heurtent alors aux énergétistes qui ne voient guère l'utilité (contrairement à la chimie) du concept d'atome. Par exemple, Ostwald voit l'atome comme une fiction mathématique, mais le continu et la différentiabilité sous‑jacents aux équations différentielles, piliers de la physique, sont‑ils plus réels que le discontinu de l'atome? Ces tensions sortent même du cadre de la science et la remise en cause du mécanisme lié à l'atomisme atteint la science elle‑même dans sa validité. Boltzmann ne pourra le supporter et se suicidera en 1906.
La mise en évidence de phénomènes liés à la présence d'atomes débute par la découverte de Brown, botaniste, en 1828, de l'observation du mouvement erratique de grains de pollen dans l'eau. Mais son interprétation erronée du phénomène, pour lui le grain est mobile de manière intrinsèque, n'apportera pas de contribution à l'atomisme. C'est Einstein, en 1905, atomiste convaincu, qui s'intéressant aux travaux de Boltzmann sur les fluctuations autour d'une valeur moyenne, dues au grand nombre de particules, interprète correctement le mouvement brownien du pollen comme le résultat de l'agitation des molécules du liquide. Cette vision discontinue de la réalité physique l'amènera, d'ailleurs la même année, à prouver par l'effet photoélectrique, la validité de la théorie de Planck (1900) sur les quanta de lumière. Par la suite, Perrin de 1900 à 1911 expérimente (sur une idée de Langevin) à partir de suspensions colloïdales. Il en déduira la nature du mouvement brownien, la valeur du nombre d'Avogadro et la réalité moléculaire. Il faudra néanmoins attendre 1980, avec le microscope à effet tunnel, pour voir réellement les atomes. L'atome existe donc bien mais la vision mécaniste qui a soutenu l'atomisme sera désavouée dès le début du siècle dernier par la relativité avec la suppression de l'éther et par la mécanique quantique avec la dualité onde‑corpuscule. Atomisme et énergétisme était donc, comme souvent, deux facettes complémentaires d'une même réalité toujours complexe.

mardi 18 mai 2010

La science et la magie

Nous venons de voir les principaux facteurs qui poussent les scientifiques à la controverse :
- radicalisation des points de vue théoriques par les disciples,
- prise en compte séparée de caractères complémentaires d'un même phénomène,
- preuves expérimentales ambigues,
- impossibilité d'accepter un fait sans son explication (peur de l'inconnu, de l'inexpliqué),
- préjugés et blocages psychologiques,
- atteinte au pouvoir en place...

Ces problèmes d'évaluation des théories nous amène à élargir le champ de validité à la science même. Quand doit‑on parler de science et quand fait‑on de la magie? D'après R. Thom, la science et la magie se retrouvent dans la même catégorie de concepts, efficace et répulsive, alors que l'art est inefficace et attractif, l'aliment, efficace et attractif et l'excrément, inefficace et répulsif (THOM R., « Prédire n'est pas expliquer »). Il faut donc trouver un critère plus distinctif. «Il n'y a de science que dans la mesure où l'on plonge le réel dans le virtuel contrôlé… La physique est une magie contrôlée par la géométrie » (THOM R., « Esquisse d'une sémio-physique »). Ce point de vue, opposé au réductionnisme, implique que la pratique magique ne contrôle pas le virtuel, le monde des représentations.
Je serai plus précise en disant qu'elle ne contrôle pas les prémisses constituant la base de départ de toute construction scientifique. Car même si la méthode est scientifique, des prémisses fausses entraîneront des conclusions fausses. Ces prémisses fausses reposent sur l'existence d'un lien de causalité non prouvé entre observations réelles telles que l’influence de la date de naissance ou de la forme du crâne sur le caractère et les aptitudes d'une personne... L'établissement de ce lien causal vient de la confusion entre causalité et corrélation positive entre les faits.
Prenons les observations suivantes : Il fait beau (A), le voisin chante (B), les arbres fleurissent (C)
Il y aura une corrélation positive entre (B) et (C). Quand il fait beau, le voisin chante et les arbres fleurissent. La pratique magique fera abstraction de (A), en général parce qu'elle n'a pas les moyens de connaître ce paramètre, et va établir un lien de causalité entre (B) et (C) alors qu'il n'existe qu'entre (A) - (B) et (A) - (C). Ce type de raisonnement se voit parfois dans les sciences où les statistiques jouent un rôle important.
La pratique magique divinatoire sera assez efficace quand la corrélation positive est proche de 100%. Par contre, la pratique magique opératoire, qui compte agir sur les évènements, tel est aussi le but de la science, ne sera pas efficace. Elle consistera, dans le cas qui nous intéresse, par exemple à faire chanter le voisin pour que les arbres fleurissent. Nous retrouvons ici toutes les pratiques propitiatoires pour assurer une bonne réussite à la chasse, à la guerre ou une arrivée d'évènements heureux. Cette démarche s'est développée pour conjurer l'angoisse de l'homme devant son avenir et son impuissance devant les forces de la Nature.
La science, par un meilleur contrôle des prémisses, a réussi en grande partie en ce qui concerne la pratique opératoire mais reste toujours impuissante devant l’angoisse existentielle des humains, ce qui explique peut‑être la recrudescence de l'intérêt pour la magie dans les temps difficiles générateurs d'angoisse.
L'enjeu de la distinction entre science et magie est d'autant plus important que l'on assiste souvent à un mélange des genres : Képler était astronome et astrologue, Newton physicien et alchimiste, les prédictions astrologiques sont faites sur ordinateurs... La limite entre rationnel et irrationnel est floue d'autant que la science avance souvent ou s'impose par de l'irrationnel. De plus, elle est enseignée à la manière d'un dogme religieux et reste aussi mystérieuse que la magie pour la plupart des gens.
« La science a normalement une efficacité pratique et une intelligibilité théorique, mais la magie est souvent efficace, au moins psychologiquement, et la science devient ésotérique» (LEVY‑LEBLOND J.M., « L'esprit de sel. Science, culture, politique »). Elle est d'ailleurs trop liée au pouvoir (élitisme) et s'éloignant du plus grand nombre, elle finira par perdre une bonne part de son crédit, si l'on n'y prend pas garde.

lundi 17 mai 2010

Les controverses (suite)

3- La controverse de l'origine des micro‑organismes, par génération spontanée (Pouchet) ou par reproduction d'organismes déjà existants (Pasteur) s'est développée quant à elle à partir de difficultés expérimentales et de l'interprétation des résultats obtenus. Nous retrouvons là le problème de la reproductibilité. Pouchet n'a pu refaire les expériences probantes. Probantes avec un peu de chance, puisque les milieux utilisés par Pasteur ne contenaient pas d'organismes résistants aux conditions de stérilisation employées (dessication, ébullition) contrairement aux milieux utilisés par Pouchet. Bref, Pasteur avait raison mais Pouchet n'avait pas tort.
Bastian, un anglais, essaiera de défendre la théorie de la génération spontanée en mettant en avant l'existence de ces microbes résistants et forcera ainsi Pasteur à continuer ses recherches sur les problèmes de stérilisation. Ce sera Tyndall, également anglais, qui trouvera la forme résistante de bacille (spore de Bacillus subtilis) et cédera son résultat à Pasteur. La controverse aura donc eu le mérite de forcer les protagonistes à approfondir leurs recherches et se soldera par des améliorations significatives de la pasteurisation, telle qu'elle est pratiquée depuis. Nous voyons également que c'est l'idée théorique nouvelle de Pasteur, mise au goût du jour par d'autres expériences, qui l'emportera malgré des résultats expérimentaux ambigus et contradictoires (chez l'infortuné Pouchet, les flacons stérilisés contenaient des germes résistants à la chaleur ce qui l'a conduit à maintenir l’idée de la génération spontanée).

4- La théorie de la dérive des continents a été élaborée par Wegener en 1912. Auparavant, pour expliquer les similitudes de terrains et surtout de faunes existant de part et d'autre des océans, on faisait appel aux 'ponts continentaux' sorte de passerelles reliant les continents. Par des arguments transdisciplinaires (géologie, géophysique, biologie, paléontologie), il établit qu'à un moment donné de l'histoire géologique, il n'y avait qu'un seul grand continent, par la suite disloqué pour donner les continents actuels.
La controverse ne se situera pratiquement pas sur les preuves observationnelles mais se développera en raison de la faiblesse de l'argumentation relative au moteur de la dérive. Il s'agit là d'un travers bien connu, surtout dans les sciences naturelles où l'expérimentation n'est guère possible, qui veut que les faits n'existent pas s'ils ne sont expliqués, soit par la théorie en vigueur soit par une théorie nouvelle. J'ai personnellement entendu deux remarques de ce genre, alors que les faits observationnels existaient et étaient recevables :
- Le remplissage des gîtes minéralisés filoniens ne peut se faire par la surface car la théorie indique des températures élevées (> 120°C).
- Les roches volcaniques de type « ignimbrite » ne peuvent pas se mettre en place sous l' eau parce que la théorie physique actuelle affirme que c'est impossible.
En résumé, on ne comprend pas, donc ça n'existe pas. Seul, Einstein pouvait se permettre de dire et encore sous forme de boutade, que si les faits venaient à contredire sa théorie de la relativité générale, il serait près à penser que c'était Dieu qui avait tort! Wegener a donc été confronté à ce comportement quelque peu irrationnel et surtout à certains blocages psychologiques liés au fait qu'il était météorologue et non pas géologue. On admet rarement qu'une découverte soit faite par une personne dont ce n'est pas la spécialité. Et pourtant, les exemples célèbres ne manquent pas ne serait-ce que Pasteur qui était chimiste et Darwin qui était géologue.
Il est vrai que la dérive n'a été réellement vue et expliquée que grâce à des techniques d'investigation du fond des océans (dorsale médio‑océanique) bien après que Wegener eût disparu dans les brumes du grand Nord en 1930. Toute la communauté des géophysiciens a alors basculé, une fois l'explication trouvée, sans pour autant reconnaître les apports de Wegener! C'eût été sans doute reconnaître également un ostracisme que Wegener n'avait vraiment pas mérité.
« Ce que quiconque peut voir n'exige pas l'appui de l'opinion des autres et, avec celui qui ne veut pas voir, il n'y a rien à faire » Wegener.

5- La controverse qui opposa Galilée aux autorités religieuses est sans doute la plus connue car, non contente de révéler un changement de paradigme important - la Terre et donc l'homme n'est plus au centre de l'Univers, elle illustre une passation de pouvoir (une forme liée au savoir) de l'Eglise aux laïcs. Les autorités religieuses auraient, semble‑t‑il, plutôt encouragé Copernic à faire état de son hypothèse héliocentrique. Mais Galilée tenta d'imposer ce concept en apportant des preuves expérimentales, ce qui était fort nouveau. Il ne s'agissait plus alors d'une cosmologie parmi tant d'autres. L'Eglise a bien compris la nuance et d'ailleurs ses objections sur les preuves n'étaient pas toutes infondées. Galilée n'était pas infaillible, sa théorie des marées était fausse et la preuve du mouvement terrestre n'a été apportée que deux siècles plus tard par Foucault avec son pendule.

jeudi 13 mai 2010

Les Controverses

Les difficultés d'évaluation d'une théorie conditionnent l'apparition de controverses au sein de la communauté scientifique. Parmi les plus célèbres, comptons celles ayant trait à l'évolution des espèces (Darwin, Lamarck), à la nature de la lumière (onde, corpuscule), à l'origine des micro‑organismes (Pasteur, Pouchet), à la formation des continents et des océans (dérive et ponts continentaux) ou aux mouvements respectifs de la Terre et du Soleil (Galilée, Eglise).

Chaque controverse illustre un ensemble de difficultés à chaque fois différentes :

1- La théorie de l'évolution des espèces a tout d'abord dû surmonter une première controverse celle du créationnisme soutenant que le monde a été créé tel qu'on peut le voir actuellement. Cette controverse dure toujours puisque certains états des USA exigent l'enseignement, en parallèle, des deux théories à l'école.
L'évolution étant acceptée par la majorité des scientifiques dès le XIX ème siècle, restaient les problèmes liés aux mécanismes biologiques responsables de celle‑ci. Deux thèses s'affrontent, celle de Darwin qui supposent des mutations aléatoires et une sélection naturelle des plus adaptés à l'environnement et celle de Lamarck qui tient pour l'hérédité des caractères acquis par l'individu au cours de sa vie. La controverse est en fait apparue après la mort des deux savants par l'excès de zèle de leurs disciples. Ces derniers ont radicalisé la pensée initiale des deux hommes.

En fait, Darwin, s'étant largement inspiré des travaux de Lamarck, n'était pas contre l'idée de l'existence de phénomènes autres que la sélection du plus fort pour expliquer l'évolution. Ainsi, tente‑t‑il de le démontrer dans un de ses derniers ouvrages « La descendance de l'homme » que certains de ses disciples mettront au compte d'une divagation sénile.
Les nuances de la théorie de Darwin ont été éliminées pour pouvoir mieux imposer sa théorie et nier l'apport de Lamarck, ce français hérétique. Cette position a été confortée par les nouvelles découvertes de la biologie moléculaire qui abondait dans le sens d'un patrimoine génétique non influençable par l'environnement. Des travaux récents sont cependant beaucoup plus nuancés :

‑ Mise en évidence de gènes 'sauteurs' sous l'influence du milieu par B. Mc . Clintock, en 1940, et dont les travaux n'ont été reconnus que dans les années 80.
‑ Existence d'un ADN en dehors du noyau cellulaire dans les mitochondries et les chloroplastes (organites, peut‑être d'origine bactérienne, qui servent à la respiration de la cellule). Cet ADN est influencé par le cytoplasme et échange des brins avec l'ADN du noyau au moment de la mitose.
‑ Existence de virus capables de transformer leur ARN en ADN et de s'installer dans le matériel génétique d'un individu, avec aussi transport possible de gènes entre espèces.
Les interactions ADN‑milieu sont donc possibles. Lamarck, n'avait sans doute pas tout à fait tort.

2- Dans l'exemple de la théorie de la lumière, la controverse n'est pas venue de disciples trop zélés mais tient à la nature même de la lumière. Le concept de dualité onde‑corpuscule n'a été admis qu'au XXème siècle grâce à la mécanique quantique, élargi même à la matière par De Broglie (1924). Avant cette période, l'opposition est née entre les tenants d'une lumière particulaire (de Newton à Einstein) et ceux d'une lumière ondulatoire (Young, Fresnel, ... ), car les expériences révélaient tour à tour un seul des aspects de la nature de la lumière. Ce type de malentendu est assez fréquent en science. Chaque école de pensée développe son point de vue alors que bien souvent les phénomènes étudiés relèvent de plusieurs explications alors complémentaires. L'exemple de la lumière est en ce sens tout à fait pédagogique et celui de l'évolution, décrit plus haut, le deviendra sans doute.
Une parabole attribuée à Bouddha vient ici à point nommé : « Ayant fait convoqué des aveugles, leur rajah les mena auprès d'un éléphant. A l'un, il présenta une défense, à l'autre une oreille, au troisième la queue et au dernier un pied. A chacun, il dit : 'Voici l'éléphant'. Il leur demanda ensuite : 'Avez‑vous étudié l'éléphant? ‑ Oui, Majesté' répondirent‑ils. 'Alors, quelles sont vos conclusions ?'. Les aveugles répondirent à tour de rôle: 'l'éléphant est une sorte de pointe ‑ Non, l'éléphant est comme un éventail ‑ Non, l'éléphant est un genre de corde ‑ Non, l'éléphant est une espèce de tronc d'arbre. »

mardi 11 mai 2010

1- Certains résultats semblant infirmer la théorie seront, souvent inconsciemment d'ailleurs, écartés par le chercheur. Quel étudiant n'a pas, un jour en toute bonne foi, éliminé des points qui lui paraissaient aberrants sur un graphique.
2- Tout critère de réfutation appartient par définition au cadre conceptuel de la théorie attaquée. Restera‑t‑il recevable dans celui de la nouvelle théorie ? Non, si le changement de théorie est suffisamment profond pour correspondre également à un changement de paradigme (cadre général conceptuel). « Ainsi la découverte de coquilles fossiles sur une montagne ne prouve la variation du niveau des mers [ou l'élévation des chaînes de montagnes] que si l'on accepte la théorie de l'évolution. Pour un adepte du créationnisme, la Terre peut très bien avoir été créée d'un coup avec ses fossiles tout prêts! ». Le critère d'évaluation d'une théorie dépend de la signification du fait qui dépend elle aussi d'un cadre théorique. Heureusement que les changements de paradigmes (cadres de pensée) sont beaucoup moins fréquents que les changements de théories.

Les vérifications des conséquences peuvent être expérimentales mais aussi observationnelles quand l'expérience n'est pas réalisable et c'est le cas dans la plupart des sciences naturelles. Il s'agit alors de collecter le plus grand nombre de faits allant dans le sens de la nouvelle théorie. La logique de la preuve n'existe en fait que dans les mathématiques. Même dans les sciences expérimentales, trouver l'expérience cruciale qui prouvera sans conteste la véracité de la théorie est difficile et peu fréquent. Alors on va accumuler des expériences aux résultats plus ou moins ambigus et les statistiques feront le reste. Les preuves seront amenées de façon progressive et ne seront en fait jamais définitives. Certains vont même jusqu'à donner un petit coup de pouce aux statistiques pour faire émerger des résultats significatifs pour la nouvelle théorie. Mendel, sans doute inconsciemment et on lui pardonne puisqu'il avait raison, a utilisé ce procédé car les expériences qu'il avait menées ne pouvait conduire de manière fiable aux célèbres proportions qui ont été à la base de la génétique. Les poids respectifs des résultats expérimentaux comme les faits d'observation sont donc eux aussi susceptibles d'être influencés par la théorie : l'objectivité est un concept difficile à mettre en oeuvre.

Dans ce sens, le critère le plus souvent employé pour la validation des résultats expérimentaux est celui de la reproductibilité de l'expérience. Dans les sciences observationnelles, cela se traduit par la recherche de faits significatifs les plus nombreux possible. Dans le cas où l'on cherche vraiment à reproduire les expériences pour qu'elles valident une théorie (dans le cas contraire, on essaie d'invalider une théorie gênante), on peut se trouver confronté à des protocoles délicats et complexes :

1- Newton avait décomposé la lumière et analysé le comportement des différentes couleurs à l'aide de prismes. Pendant un demi‑siècle, ses détracteurs ont contesté la reproductibilité de l'expérience car ils utilisaient des prismes de mauvaise qualité et ne les plaçaient pas de manière suffisamment précise.
2- L'expérience de la balance de Coulomb n'a jamais pu être reproduite, car très délicate. Elle est pourtant à la base de l'électro-statisme et de la fameuse loi en 1/r2.

Le critère de reproductibilité n'est pas infaillible, surtout dans le domaine les sciences de la vie où la variabilité est une condition justement vitale. Il ne doit donc pas être utilisé sans discernement pour invalider une théorie. Un ancien ministre de la Recherche disait fort à propos: « S'il se présentait au CNRS, Dieu serait collé. Il a fait une manip intéressante, mais personne n'a jamais réussi à la reproduire. Il a expliqué ses travaux dans une grosse publication, il y a très longtemps, mais ce n'était même pas en anglais et, depuis, il n'a plus rien publié. »

La logique de la preuve peut même parfois, dans des cas extrêmes, devenir stérilisante, quand les instances scientifiques exigent d'affiner le protocole d'expériences déjà concluantes, mais gênantes, ou d'obtenir une plus grande quantité de l'élément découvert pour confirmation. Ainsi, l'obtention d'un gramme de radium demanda à Marie Curie une dizaine d'années d'efforts sans avancée théorique.