Nous avons déjà remarqué que nombre de concepts migrent des sciences «
dures » vers les sciences « molles » où l'expérimentation n'est souvent guère
adaptée en raison de paramètres physiques non reproductibles, de constante de
temps trop longue ou de complexité trop importante des structures étudiées. La
tentation est donc grande d'utiliser des concepts bien rodés dans des cadres
simplifiés mécanistes où le temps n'est pas un paramètre primordial. Mais toute
extension du champ de pertinence demande beaucoup d'attention et les études sur
la croissance des colonies de bactéries n'apporteront peut‑être aucun
renseignement sur l'extension de nos communautés urbaines, quoique...
Tout
transfert de concept doit prendre en compte la notion de changement d'échelle
aussi bien dans l'espace que dans le temps. Dans cette deuxième catégorie nous
trouverons donc des concepts utilisables mais après avoir bien pondérer leurs
limites : sélection naturelle et concurrence (des sciences économiques et
sociales vers la biologie), les notions d'ordre, de complexité, d'organisme et
de comportement (des sciences humaines et biologiques vers la physique). Ces
concepts procèdent de jugement de connaissance mais aussi de valeur et c'est
cette ambiguïté qui les rend si délicats à manipuler.
Le concept de chaos est
très significatif à cet égard. Ce terme initialement d'origine mythologique,
désignant pour les grecs l'état dans lequel se trouvait notre pauvre univers
avant que les dieux de l'Olympe n'y mettent bon « ordre », a par la suite
désigné toute chose dépourvue d'organisation. Ce terme a été repris en cette
fin de siècle par les physiciens dans un sens très particulier, applicables aux
systèmes physico-chimiques non prédictibles dont l'attracteur dans l'espace
des phases montre une morphologie complexe. Il n'est plus ici question
d'absence de structure. Le concept a donc été restreint et reste caractérisé
par des paramètres ou des coefficients calculables ou mesurables bien précis.
Le champ de validité dans ce cas s'est rétréci et déplacé et le jugement de
valeur attaché au départ à ce concept a été totalement éliminé. Ceci n'empêche
pas par ailleurs la théorie du chaos d'être critiquée par certains qui voient
en elle un vecteur d'idées subversives, contraires à la morale et à l'ordre
social, idées qui n'ont jamais existé dans le concept physique.
Dans le même
ordre d'idée, la relativité a ainsi été reprise par des philosophes en mal
d'inspiration et à peu près tout et n'importe quoi a dû être extrapolé à partir
de ce concept. Cette attitude fut d'ailleurs assez fréquente depuis que science
et philosophie furent découplées après Pascal et Descartes.
dimanche 28 octobre 2012
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