dimanche 28 octobre 2012

Les concepts nomades - Des sciences dures vers les sciences molles

Nous avons déjà remarqué que nombre de concepts migrent des sciences « dures » vers les sciences « molles » où l'expérimentation n'est souvent guère adaptée en raison de paramètres physiques non reproductibles, de constante de temps trop longue ou de complexité trop importante des structures étudiées. La tentation est donc grande d'utiliser des concepts bien rodés dans des cadres simplifiés mécanistes où le temps n'est pas un paramètre primordial. Mais toute extension du champ de pertinence demande beaucoup d'attention et les études sur la croissance des colonies de bactéries n'apporteront peut‑être aucun renseignement sur l'extension de nos communautés urbaines, quoique... 
Tout transfert de concept doit prendre en compte la notion de changement d'échelle aussi bien dans l'espace que dans le temps. Dans cette deuxième catégorie nous trouverons donc des concepts utilisables mais après avoir bien pondérer leurs limites : sélection naturelle et concurrence (des sciences économiques et sociales vers la biologie), les notions d'ordre, de complexité, d'organisme et de comportement (des sciences humaines et biologiques vers la physique). Ces concepts procèdent de jugement de connaissance mais aussi de valeur et c'est cette ambiguïté qui les rend si délicats à manipuler. 
Le concept de chaos est très significatif à cet égard. Ce terme initialement d'origine mythologique, désignant pour les grecs l'état dans lequel se trouvait notre pauvre univers avant que les dieux de l'Olympe n'y mettent bon « ordre », a par la suite désigné toute chose dépourvue d'organisation. Ce terme a été repris en cette fin de siècle par les physiciens dans un sens très particulier, applicables aux systèmes physico­-chimiques non prédictibles dont l'attracteur dans l'espace des phases montre une morphologie complexe. Il n'est plus ici question d'absence de structure. Le concept a donc été restreint et reste caractérisé par des paramètres ou des coefficients calculables ou mesurables bien précis. Le champ de validité dans ce cas s'est rétréci et déplacé et le jugement de valeur attaché au départ à ce concept a été totalement éliminé. Ceci n'empêche pas par ailleurs la théorie du chaos d'être critiquée par certains qui voient en elle un vecteur d'idées subversives, contraires à la morale et à l'ordre social, idées qui n'ont jamais existé dans le concept physique. 
Dans le même ordre d'idée, la relativité a ainsi été reprise par des philosophes en mal d'inspiration et à peu près tout et n'importe quoi a dû être extrapolé à partir de ce concept. Cette attitude fut d'ailleurs assez fréquente depuis que science et philosophie furent découplées après Pascal et Descartes.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire