L'étape ultime de la bionique ou biomimétisme, dont les premiers jalons ont déjà été
posés avec les matériaux intelligents cités précédemment, sera d'implanter
l'équivalent d'un code génétique dans le matériau. L'information sera inscrite
dans sa structure même et il pourra réagir en fonction des sollicitations
extérieures. L'effet le plus inédit serait sa capacité à s'auto‑organiser de
façon complexe pour une adaptation à l'environnement, l'équivalent d'une
véritable embryogenèse.
Une première approche de cette démarche est effectuée
par le contrôle de la géométrie interne du matériau, via des structures fractales
mésoscopiques qui régulent le rendement énergétique.
Les fractales sont également de bons candidats car elles autorisent la
différentiation droite/gauche dans l'espace. La caractéristique fondamentale
des systèmes vivants réside en effet dans la possibilité de distinguer deux
formes moléculaires symétriques dans un miroir, dites dextrogyres ou lévogyres en
fonction de la direction dans laquelle elles font dévier le plan de
polarisation de la lumière polarisée : les microorganismes se nourrissent
exclusivement des formes dextrogyres (déviation vers la droite) de certaines
substances (cf. les travaux de Pasteur, chimiste de formation). Sans se laisser
entraîner dans le mythe de Frankenstein, il est néanmoins raisonnable d'espérer
créer des structures qui s'auto‑organiseront en fonction de leur environnement
et des fonctionnalités qui auront été programmées dans leur matériau
constituant.
dimanche 28 octobre 2012
Concepts nomades - Le biomimétisme (1/2)
L'une
des premières sources d'inspiration fut sans doute l'observation de la
structure des êtres vivants : parmi les exemples les plus connus, nous citerons
les structures composites orthotropes multi-couches qui imitent le bois, les
stratifiés en nid d'abeille pour la résistance et l'allègement, les formes
aérodynamique des bateaux et des avions (l’analogie s'arrêtera pour l'aile
delta des mirages dont la forme ne sera plus effilée comme celle des grands
voiliers que sont les frégates ou les albatros). Des exemples tous récents et
moins connus se retrouvent dans les domaines suivants :
- L'atténuation
du bruit au niveau de la coque des sous‑marins avec l'utilisation de revêtement
analogue à la peau de requin.
- La
conception d'automates aux formes d'arthropodes dont les pattes ventousées leur
permettent de progresser dans des canalisations conduisant au coeur de
centrales nucléaires pour détecter et réparer des fuites éventuelles en
environnement hostile pour l'homme.
- La
mise au point d'un télescope à rayons X à partir de l'étude du système optique
orthogonal de l'oeil d'écrevisse.
- La
production de protéines analogues à celles qui constituent la soie d'araignée
pour obtenir des fibres dont les performances mécaniques dépassent celles de
nos meilleures fibres synthétiques telles que le Kevlar.
- La
conception d'un nouveau matériau pour les hélices de turbine de moteur à
réaction supportant de fortes variations de température. Sa structure
lamellaire constituée de fines couches alternées de carbure de silicium et de
feuilles de carbone imite celle de la coquille d'escargot où les couches
prismatiques de carbonate de calcium sont maintenues par de fines couches de
protéines. Qui aurait pensé qu'un jour un escargot puisse fournir un modèle de
perfectionnement pour le moteur à réaction !
Concepts nomades - La systémique
Les sciences de la Terre et du vivant ont ceci de particulier, par
rapport aux sciences physiques, qu'elles durent très tôt s'intéresser à des
systèmes complexes où un grand nombre de paramètres interagissent et selon des
échelles spatio‑temporelles différentes.
La
systémique deviendra à partir des années 80, l'inspiratrice de techniques
d'innovation, par exemple dans la conception de produits nouveaux. Tous les
aspects de la vie d'un produit sont pris en compte dès le début de l'étude et
la fonctionnalité du produit sera obtenue par le contrôle des interactions des
différents composants entre eux et avec l'environnement (comprenant les clients). Globalité et
interaction semble bien les deux concepts clés de l'organisation du vivant. Ils
sont à la base d'une caractéristique fondamentale du vivant qui est la
possibilité d'adaptation à des conditions de vie changeantes. C'est exactement
ce qui est recherché lors de la conception des matériaux dits intelligents.
Leur structure par effet de feed‑back, notion si importante en endocrinologie
et en automatisme, évolue pour s'adapter aux nouvelles conditions
d'utilisation.
Cette vision globale et systémique des
processus sera formalisée dans la théorie des systèmes, cadre désormais bien
utile pour les sciences physiques, économiques, politiques et sociales.
L'exemple retenu n'est pas tout récent et même antérieur à la théorisation de
la systémique puisqu'il relate la naissance du premier réseau d'éclairage électrique
promu par Edison dans un quartier de New York en 1882 (l'ampoule électrique fut
mise au point en 1878). La conception d'un réseau électrique urbain implique la
prise en compte de considérations technologiques mais aussi économiques,
politiques et sociales comme l'accueil d'un nouveau type d'éclairage
individuel. Du point de vue technique, le réseau sera pensé dans son ensemble puisque les caractéristiques de
chacun des composants, centrale génératrice de courant, régulateurs, fils de
distribution et ampoules seront définies pour un fonctionnement global optimum
tout en respectant les règles normatives de sécurité.
La mise au point du
système se fait en traitant tous les
problèmes de front et en concevant globalement ce système sans en maîtriser au
départ tous les aspects. Cette démarche demande une bonne dose d'anticipation
ainsi qu'un goût du risque certain. Mais
les résultats seront à la hauteur des difficultés rencontrées. Bien sûr le
premier quartier illuminé sera prestigieux et les premiers à bénéficier d'une
lumière si brillante et si souple d'utilisation seront les investisseurs du
projet et les bureaux du New York Times qui s'empressera d'en faire la
publicité. Edison est un fin politique et les quartiers d'immigrés, où la densité de population est
pourtant la plus forte et qui feront au XXème siècle la puissance économique
des USA, attendront quelque peu les bienfaits de la fée Electricité.
Concepts nomades - Le temps (2/2)
La
flèche du temps apparût un peu à la même époque en physique avec le deuxième
principe de la thermodynamique. Mais l'irréversibilité macroscopique trouvera
une explication microscopique et réversible avec Boltzmann. Le paradigme en
cours mécaniste et déterministe sera ainsi conforté par les statistiques. Il
faudra attendre la fin du XXème siècle pour que l'irréversibilité redevienne un
concept clé dans les domaines traitant de la dissipation d'énergie et
d'organisation de structures qui lui sont liées (Prigogyne, Le Méhauté).
L'irréversibilité existe bien au niveau microscopique et serait liée à la
géométrie fractale de l'espace‑temps. Cette nouvelle approche permet d'ailleurs
d'éliminer nombre de paradoxes de la mécanique quantique (Nottale).
La liaison espace‑temps effectuée par Einstein dans sa théorie de la relativité avait ouvert la voie. Mais son espace-temps restait différentiable et la flèche du temps n'apparait pas dans ces conditions. L'irréversibilité intrinsèque vient de la non différentiabilité. En effet chaque point se déplaçant dans l'espace des phases admet deux tangentes différentes donc une vitesse antérieure (-) et une vitesse postérieure (+). Incidemment la notion de trajectoire devient caduque et il est possible de définir une flèche du temps. En mécanique quantique, l'équation de la fonction d'onde mélange les deux vitesses (+) et (-), ce qui rend l'équation réversible.
L'irréversibilité vient également de la structure en arbre qui sous‑tend les fractales. L'énergie semble se dissiper en effet dans les échelles spatiales : à chaque bifurcation de l'arbre durant la descente dans les échelles, un choix est fait lors du transfert d'énergie et cette information est perdue. Le processus réversible qui ferait remonter l'énergie le long de l'arborescence n'est plus possible, d'où apparition de l'irréversibilité (Le Méhauté).
La liaison espace‑temps effectuée par Einstein dans sa théorie de la relativité avait ouvert la voie. Mais son espace-temps restait différentiable et la flèche du temps n'apparait pas dans ces conditions. L'irréversibilité intrinsèque vient de la non différentiabilité. En effet chaque point se déplaçant dans l'espace des phases admet deux tangentes différentes donc une vitesse antérieure (-) et une vitesse postérieure (+). Incidemment la notion de trajectoire devient caduque et il est possible de définir une flèche du temps. En mécanique quantique, l'équation de la fonction d'onde mélange les deux vitesses (+) et (-), ce qui rend l'équation réversible.
L'irréversibilité vient également de la structure en arbre qui sous‑tend les fractales. L'énergie semble se dissiper en effet dans les échelles spatiales : à chaque bifurcation de l'arbre durant la descente dans les échelles, un choix est fait lors du transfert d'énergie et cette information est perdue. Le processus réversible qui ferait remonter l'énergie le long de l'arborescence n'est plus possible, d'où apparition de l'irréversibilité (Le Méhauté).
Concepts nomades - Le temps (1/2)
Après ces quelques considérations d'ordre général, nous allons nous
intéresser à deux transferts particuliers dont les répercussions scientifiques
et technologiques sont d'importance. Nous traiterons tout d'abord
l'introduction du concept « temps » dans la physique contemporaine,
concept mis en valeur au milieu du XIXème siècle d'une part par Lyell et Elie
de Raumont, fondateurs de la géologie et d'autre part par Lamarck et Darwin pour
leur théorie de l'évolution des espèces. Ensuite nous aborderons les apports de
l'organisation du vivant dans les sciences physiques via la bionique et la
théorie des systèmes.
Fonder
une science, jusqu'au XIXème siècle, signifiait souvent être en rupture avec
les conceptions de l'Eglise. Ce fut le cas pour Lyell, Lamarck et Darwin qui
introduirent en science des échelles de temps allant du million à quelques
centaines de millions d'années en contradiction avec l'échelle de temps
préconisée par l'Eglise et extrapolée à partir de l'exégèse biblique, au pire
sept jours et au mieux 6000 ans. En Chine, l'interprétation correcte des fossiles
en tant que restes d'êtres vivants très anciens, a été donnée dès le 1er siècle
av. JC.
La
datation de la Terre à 4.5 milliards d'années ne sera effective que dans les
années 60 grâce aux isotopes radioactifs. Entre temps l'âge de la Terre avait été
ramené à 40 000 ans par Lord Kelvin sur des considération physiques de chaleur
interne et de vitesse de refroidissement, faisant fi de toute observation
géologique. Là encore une explication théorique insuffisante, l'apport
calorique dû à la radioactivité des couches terrestres n'ayant pas été pris en
compte, prévaudra sur des observations naturalistes.
Les concepts nomades - Calcul et quantification
Le concept de calcul et de quantification est un peu à part puisqu'il a
donné des résultats spectaculaires dans nombre de disciplines mais a aussi
conduit à énoncer de belles bourdes! Depuis Pythagore qui a eu l'intuition
géniale de l'existence de nombres cachés derrière les phénomènes de la Nature
(la notion de nombre correspond également à une représentation géométrique),
depuis Galilée qui a su mettre en équation le mouvement accéléré et surtout
depuis Newton et Leibniz avec l'invention du calcul infinitésimal, les notions
de fonction et de différentiabilité ont réussi à traiter presque tous les
problèmes physiques du XXème siècle. Les choses se sont un peu compliquées
quand la quantification s'est attaquée aux sciences naturelles et aux sciences
économiques et sociales. Certains phénomènes relevant de ces domaines ont dû
attendre la fin du XXème siècle pour voir émerger des outils mathématiques
adaptés tels que les relateurs arithmétiques ou les fractales. En attendant
quelques perles ont émaillé les publications scientifiques. Ceci ne serait rien
comparé au tort que la quantification à outrance a pu causer aux tenants de
méthodes plus qualitatives, alors mieux adaptées aux problèmes naturalistes.
Mais la fascination des mathématiques et de l'ordinateur a été telle que des
pans entiers des sciences naturelles furent sacrifiées sur l'autel des données
numériques.
Les concepts nomades - Des sciences dures vers les sciences molles
Nous avons déjà remarqué que nombre de concepts migrent des sciences «
dures » vers les sciences « molles » où l'expérimentation n'est souvent guère
adaptée en raison de paramètres physiques non reproductibles, de constante de
temps trop longue ou de complexité trop importante des structures étudiées. La
tentation est donc grande d'utiliser des concepts bien rodés dans des cadres
simplifiés mécanistes où le temps n'est pas un paramètre primordial. Mais toute
extension du champ de pertinence demande beaucoup d'attention et les études sur
la croissance des colonies de bactéries n'apporteront peut‑être aucun
renseignement sur l'extension de nos communautés urbaines, quoique...
Tout transfert de concept doit prendre en compte la notion de changement d'échelle aussi bien dans l'espace que dans le temps. Dans cette deuxième catégorie nous trouverons donc des concepts utilisables mais après avoir bien pondérer leurs limites : sélection naturelle et concurrence (des sciences économiques et sociales vers la biologie), les notions d'ordre, de complexité, d'organisme et de comportement (des sciences humaines et biologiques vers la physique). Ces concepts procèdent de jugement de connaissance mais aussi de valeur et c'est cette ambiguïté qui les rend si délicats à manipuler.
Le concept de chaos est très significatif à cet égard. Ce terme initialement d'origine mythologique, désignant pour les grecs l'état dans lequel se trouvait notre pauvre univers avant que les dieux de l'Olympe n'y mettent bon « ordre », a par la suite désigné toute chose dépourvue d'organisation. Ce terme a été repris en cette fin de siècle par les physiciens dans un sens très particulier, applicables aux systèmes physico-chimiques non prédictibles dont l'attracteur dans l'espace des phases montre une morphologie complexe. Il n'est plus ici question d'absence de structure. Le concept a donc été restreint et reste caractérisé par des paramètres ou des coefficients calculables ou mesurables bien précis. Le champ de validité dans ce cas s'est rétréci et déplacé et le jugement de valeur attaché au départ à ce concept a été totalement éliminé. Ceci n'empêche pas par ailleurs la théorie du chaos d'être critiquée par certains qui voient en elle un vecteur d'idées subversives, contraires à la morale et à l'ordre social, idées qui n'ont jamais existé dans le concept physique.
Dans le même ordre d'idée, la relativité a ainsi été reprise par des philosophes en mal d'inspiration et à peu près tout et n'importe quoi a dû être extrapolé à partir de ce concept. Cette attitude fut d'ailleurs assez fréquente depuis que science et philosophie furent découplées après Pascal et Descartes.
Tout transfert de concept doit prendre en compte la notion de changement d'échelle aussi bien dans l'espace que dans le temps. Dans cette deuxième catégorie nous trouverons donc des concepts utilisables mais après avoir bien pondérer leurs limites : sélection naturelle et concurrence (des sciences économiques et sociales vers la biologie), les notions d'ordre, de complexité, d'organisme et de comportement (des sciences humaines et biologiques vers la physique). Ces concepts procèdent de jugement de connaissance mais aussi de valeur et c'est cette ambiguïté qui les rend si délicats à manipuler.
Le concept de chaos est très significatif à cet égard. Ce terme initialement d'origine mythologique, désignant pour les grecs l'état dans lequel se trouvait notre pauvre univers avant que les dieux de l'Olympe n'y mettent bon « ordre », a par la suite désigné toute chose dépourvue d'organisation. Ce terme a été repris en cette fin de siècle par les physiciens dans un sens très particulier, applicables aux systèmes physico-chimiques non prédictibles dont l'attracteur dans l'espace des phases montre une morphologie complexe. Il n'est plus ici question d'absence de structure. Le concept a donc été restreint et reste caractérisé par des paramètres ou des coefficients calculables ou mesurables bien précis. Le champ de validité dans ce cas s'est rétréci et déplacé et le jugement de valeur attaché au départ à ce concept a été totalement éliminé. Ceci n'empêche pas par ailleurs la théorie du chaos d'être critiquée par certains qui voient en elle un vecteur d'idées subversives, contraires à la morale et à l'ordre social, idées qui n'ont jamais existé dans le concept physique.
Dans le même ordre d'idée, la relativité a ainsi été reprise par des philosophes en mal d'inspiration et à peu près tout et n'importe quoi a dû être extrapolé à partir de ce concept. Cette attitude fut d'ailleurs assez fréquente depuis que science et philosophie furent découplées après Pascal et Descartes.
Transdisciplinarité - Les concepts nomades
L'expression
« concepts nomades » ainsi que les réflexions qui suivent sont en grande partie
empruntées au livre dirigé par I.Stengers « D'une science à l'autre ». Certains
transferts furent judicieux et très féconds. Appartiennent à cette catégorie
les concepts de causalité, de loi, de problème (transfert des maths et de la
physique vers les sciences naturelles et humaines), de système (de la physique
vers l'économie), de corrélation (de la philosophie et de la biologie vers les
sciences humaines). Ce dernier concept largement utilisé recèle néanmoins un
piège de taille dans lequel se fourvoyèrent un certain nombre de scientifiques
: la corrélation positive a souvent été à tort synonyme de lien causal. La corrélation est «
un instrument porteur des exigences de rigueur les plus maniaques et pourtant
associé, sous couvert de définitions apparemment techniques, purement
formelles, aux opérations les plus périlleuses de transmutation de l'ignorance
en science ». Le coefficient de corrélation n'est qu'une observation empirique
et se servir d'un outil en dehors de son champ de validité ou sans rechercher les relations de causalité a toujours conduit à
des inepties, inepties qui peuvent tourner au drame quand elles touchent aux
sciences humaines.
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