L'analyse du cas suivant va nous permettre de dégager d'autres routes vers
la réalisation de hauts faits technologiques. La motivation première de Diesel,
alors jeune ingénieur, est de réaliser le moteur idéal, isotherme, présentant
le cycle de Carnot et dont le rendement énergétique est maximal (hors série
n°31, février 1996, Cahiers de Science et Vie, les grands ingénieurs). Les
premiers brevets déposés iront dans ce sens mais les réalisations
technologiques s'avèreront assez éloignées de leurs préconisations, ce qui
posera d'ailleurs quelques problèmes à leur auteur. La conception des premiers
moteurs Diesel est basée sur l'association inédite de systèmes déjà existants
tels que la pulvérisation du combustible, une compression élevée, une
inflammation par contact avec des surfaces chaudes, ceci pour créer un moteur
tendant vers l'isothermie, à forte température et pression où le combustible
s'enflamme spontanément à l'intérieur du cylindre. La réussite viendra
également du fait que les firmes qui pousseront Diesel (Augsburg et Krupp), ne
possèdent pas de spécialiste de combustion interne tel que l'ingénieur Langen,
qui ayant entrevu les problèmes pratiques de ce type de moteur, refusera
d'avancer dans cette voie. Trop de connaissances peuvent parfois agir comme
agent bloquant. Un certain nombre d'avancées scientifiques ont ainsi pu voir le
jour parce que leur inventeur ne savait pas qu'elles seraient impossibles à
réaliser... Le meilleur comportement à adopter reste sans doute celui d'essayer
et de garder la foi dans ses idées même si les premières réalisations sont
décevantes. C'est ce que fit Diesel. Et quand on voit maintenant le rôle que
tient le moteur Diesel dans les transports, il est douloureux de penser que son
inventeur disparut dans l'océan à l’age de 55 ans en 1913, miné par des
problèmes économiques et des tracasseries administratives.
En dernier ressort, la distinction à faire n'est pas tant entre science
fondamentale et science appliquée ou technologique, en prenant comme critère le
plus ou moins long terme des retombées industrielles, mais bien entre la
recherche « révolutionnaire », génératrice de nouveaux paradigmes, et la
recherche incrémentale ou « normale », les termes de révolutionnaire et normale
étant pris au sens de Kuhn (« La structure des révolutions scientifiques »,
1983) . Si la première est finalisée comme la seconde, et des exemples récents
sont là pour le prouver, le bénéfice pour la société en sera d'autant plus
grand. L'émergence de nouveaux concepts peut très bien résulter d'un souci très
pragmatique. Les retombées seront alors immédiates et la science aura fait un
bond en avant. Cette démarche demande sans doute une agilité intellectuelle
hors normes. Mais les résultats sont tellement enthousiasmants que toute
formation d'ingénieurs ou de scientifiques devrait être pensée dans ce sens.
L'homme de science se rapprocherait ainsi de l’idéal rêvé par des générations
de penseurs : les pieds sur terre et la tête dans les étoiles.
dimanche 18 novembre 2012
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