dimanche 15 juillet 2012

Analogies Illustrations (4/4)


La théorie corpusculaire de la lumière, après une éclipse de plus de deux siècles depuis Newton, est remise au goût du jour par Planck. Celui‑ci étudie l'émission lumineuse d'un corps noir et s'aperçoit de l'analogie des formules mathématiques décrivant le mouvement des molécules de gaz dans une enceinte close et le spectre d'émission d'un corps chauffé dans un four fermé. En effet les courbes de distribution des vitesses des molécules et de distribution en fréquence de la lumière émise sont caractérisées toutes deux par une forme en cloche (gaussienne). Les quanta lumineux seront donc des particules discrètes à l'instar des molécules et cette astuce mathématique permettra d'ajuster la courbe théorique à la courbe expérimentale en évitant le problème de « la catastrophe ultraviolette » initialement prévue par la théorie du corps noir (émission UV en masse, énergie infinie). La réalité des quanta sera néanmoins prouvée par l'effet photoélectrique découvert par Einstein. Rappelons que ce dernier eut l'intuition de la constance de la vitesse de la lumière en imaginant le vol d'une mouette au‑dessus des vagues… à chacun ses références.
Quant à de Broglie, le père de la double nature de la lumière et de la matière, ses idées se cristalliseront brusquement dans son esprit à la fin de l'été 1923, après avoir remarqué l'analogie de comportement en diffraction de la lumière et des électrons ainsi que l'apparition de nombres entiers dans la description des niveaux énergétiques des électrons dans l'atome de Bohr, ce qui faisait fortement penser à une quantification. Par la suite la notion arbitraire d'amplitude de probabilité fut introduite par une pirouette mathématique qui mélangea, par imitation formelle, l'amplitude de l'onde et la probabilité de présence du corpuscule. Tout le problème réside en fait dans le changement d'échelle, dans la réduction du paquet d'ondes.

Enfin quelques brèves à la volée :
Laplace, en vue de déterminer la vitesse de la lumière, construit son programme de recherche sur l'analogie des lois en 1/r2 pour la gravitation et l'attraction électrique.
De Gennes emploie, pour décrire le comportement des polymères en solution semi‑diluée (concept des blobs), les mêmes outils statistiques que ceux formalisant les transitions de phase magnétiques.
Wessel, cartographe, invente la représentation du nombre imaginaire dans le plan cartésien, tel un point géographique déterminé par ses coordonnées cartographiques.
La morphologie des fullerènes fut entrevue par analogie avec le dôme de la géode de la Cité des Sciences de la Villette à Paris.
Penrose, à la recherche d'une explication pour l'existence d'une symétrie d'ordre cinq dans les quasi‑cristaux, s'inspirera des pavages non périodiques du plan apparaissant dans les oeuvres du dessinateur Escher.
Multiples sont les sources d'analogie et chacun trouvera son inspiration dans des domaines parfois très éloignés du sujet de recherche, au gré de la profondeur de sa culture scientifique, philosophique ou artistique. Nous reviendrons plus loin sur le rôle de la culture et de la civilisation dans les sources d'inspiration.

Analogies Illustrations (3/4)


L'évolution des théories de la lumière et les débuts de la mécanique quantique sont également très instructifs et nous allons y retrouver, parmi les adeptes de l'analogie, quelques uns de nos plus grands savants. Le premier à entrer en scène est T. Young, médecin de son état. Il n'est pas physicien mais s'intéresse à la vision, l'accommodation de l'oeil et à l'audition avec la propagation des ondes sonores. Son expérience sur les interférences sera correctement interprétée et il établira la nature ondulatoire de la lumière par analogie avec les ondes sonores. Son goût pour la trans-disciplinarité le portera même à nous donner une première interprétation de la pierre de Rosette et quelques réflexions sur les bulles de savon, terrain de choix pour l'étude des surfaces minimales.
Maxwell, l'unificateur de l’électricité et du magnétisme, imagine l'éther animé d'engrenages et de tourbillons. Pour lui l'intensité du champ magnétique est représentée par la vitesse de rotation des tourbillons, l'intensité du champ électrique est équivalente à la force exercée par les tourbillons sur les particules et la densité du courant électrique est assimilée au flux des particules. Il en déduira l'interdépendance des forces électriques et magnétiques ainsi que l'équation correspondante. De nos jours, le vecteur champ magnétique est associé à une rotation, le vecteur champ électrique à une translation et la densité de courant au flux des électrons, mais la notion de champ a remplacé celles de l'éther et de ses mécanismes associés. La représentation de Maxwell qui prête maintenant à sourire, n'était donc pas si aberrante. Par la suite, il abandonnera les tourbillons mais gardera les énergies de perturbation, potentielle et cinétique promises à un bel avenir. Mais les tourbillons ont encore de beaux jours devant eux puisque la théorie des changements de phase les invoquent au passage de l'état normal à l'état supra-critique...

Analogies Illustrations (2/4)


Si l'exemple précédent traduit bien l'intérêt de la trans-disciplinarité, celui de l'invention de l'ampoule par Edison illustre une méthode qui a fait ses preuves et qui sera utilisée par ce génial inventeur de manière systématique : « Aborder un domaine qu'on ne connaît pas en s'appuyant sur des analogies avec ceux qui sont connus ». Etablir des analogies et concevoir d'innombrables variations sur un même motif s'avéreront être à la base du génie inventif d'Edison.
La première analogie consistera à reprendre le réseau d'éclairage par le gaz comme schéma de distribution pour l'électricité en utilisant les canalisations déjà existantes pour y faire passer les fils électriques et placer les nouvelles lampes dans les appareils à gaz reconvertis, de même pour les compteurs. Son souci était économique et psychologique pour une transition en douceur d'un système à un autre.
La deuxième analogie servira à l'invention de l'ampoule électrique par elle­-même. Edison connaît bien la technologie des télégraphes. Le problème à résoudre est celui de la surchauffe des filaments en platine. Il va donc concevoir "des régulateurs capables de détourner le courant électrique de l'élément incandescent. Les ampoules seront les éléments de télégraphie et les régulateurs seront conçus comme des interrupteurs télégraphiques. Un peu plus tard, il observa que le métal semblait absorber des gaz issus de l’atmosphère pendant la chauffe, ce qui baissait sa résistance (une forte résistance favorise l'incandescence par effet Joule et la puissance consommée ne dépend que de la surface de chauffe, d'où le fil fin enroulé en spires). Pour améliorer son ampoule il maintiendra donc son filament sous vide, ce qui lui permettra par la suite d'utiliser le carbone de bien meilleure performance mais exigeant l'absence d'oxygène.
La troisième analogie viendra cette fois du téléphone qu'il améliore en parallèle. La pastille de carbone est un élément constitutif du microphone. Le noir de carbone nécessaire étant fabriqué dans le complexe de recherche d'Edison, il s'aperçut que ce noir de lampe pouvait être roulé tel un fil de platine. L'ampoule fut définitivement inventée quand le filament incandescent trouvât son origine dans un fil de coton enroulé plus simple à mettre en oeuvre.
Une autre analogie pourrait être signalée au sujet de la conception de la pastille de carbone. Son rôle dans la réception de la parole provient d'une propriété particulière du noir de carbone : sa résistivité s'accroît en fonction de la pression qui s'exerce sur lui. Edison s'est aperçu de cette loi lors de ses recherches sur les câbles télégraphiques immergés. Pour simuler la résistance d'un câble de grande longueur, il utilisa des résistances constituées de tubes remplis de noir de carbone fortement tassé pour obtenir des valeurs de résistance très élevées. Mais le moindre choc perturbait les mesures car les variations de résistance étaient très sensibles à la pression. Ce défaut lui restera en mémoire et il s'en servira pour concevoir un microphone très fidèle.

Analogies Illustrations (1/4)

Un exemple d'adéquation du formalisme mathématique à la compréhension physique est celui de la courbure de l'espace-temps introduite par Einstein. Une façon simple d'intuiter ce concept est d'imaginer un diagramme espace (une dimension) ‑ temps. La dérivée seconde de l'espace par rapport au temps ou accélération est aussi la courbure de la courbe au point accéléré, comme la vitesse peut être représentée par la tangente en ce point. Il suffit ensuite de généraliser à un espace à trois dimensions. La courbure de l'espace­-temps est ainsi reliée par le formalisme mathématique à l'accélération gravitationnelle. Einstein ne semble pas avoir utilisé cette source d'inspiration pour faire émerger son concept nouveau mais la relation géométrie - algèbre initiée par Descartes reste pleine de ressources.

La naissance de la théorie cellulaire (T. Schwann, 1839) vient du rapprochement de deux domaines scientifiques tout à fait distincts à cette époque que sont la botanique et la zoologie. Lorsque Schwann débute ses recherches, seuls sont reconnus dans le règne végétal les pores et les cellules (trous) et dans le règne animal les globules rouges. La conception de l'organisme admet l'existence d'unités simples ou de molécules organiques dotées de propriétés vitales mais dont les fonctions vitales et le plan d'organisation sont globaux. Il ne peut y avoir, dans ce schéma de pensée, de rapprochement entre les deux règnes, végétal et animal. Le terrain favorable à la découverte sera préparé par des changements techniques, invention du microscope achromatique permettant l'observation entre autres de structures globulaires et par des changements conceptuels initiés par Dutrochet ‑ Raspail qui envisageront l'unité des vésicules végétales et animales dans une vision plus réductionniste et physico-chimique que vitaliste comme précédemment. Mais le globulisme n'est pas suffisant car le globule reste sans structure interne et son évolution pose toujours problème.
Le facteur déclenchant résidera dans les échanges entre Schwann qui est zoologue et le botaniste Schleiden. Ce souci d'interdisciplinarité conduisit à l'observation conjointe de noyaux dans les cellules végétales et animales (corde dorsale d'un embryon). Ils comprirent le rôle du noyau dans le développement des êtres vivants quelque soit leur règne. La cellule était née en tant qu'unité élémentaire ayant une vie propre ne dépendant pas d'une force vitale commune à l'organisme. Cette hypothèse servira de cadre pour les observations futures et permettra une ré-interprétation des faits observés, par exemple la diversité des cellules et leur rôle respectif dans l'organisme.